Crippled Black Phoenix est un groupe de post rock progressif à l'univers et à l'humour décalés, un adjectif en forme d'euphémisme lorsqu'il s'agit d'artistes britanniques, et qui colle parfaitement à la bande à Justin Greaves. Le dixième album studio, "Great Escape", confirme cette tendance avec un album conceptuel autour de la mort, à la musique elle aussi décalée.
Le premier contact avec l'album se fait via l'artwork, sombre et onirique, comme l'ensemble des éléments graphiques qui émaillent l'objet, d'une beauté froide et intrigante totalement raccord avec le thème du concept. Si l'introduction installe une ambiance sombre aux atours de bande originale avec ses samples de voix énigmatiques, 'To You I give' ouvre réellement les hostilités avec un titre atmosphérique où la voix éthérée de Daniel Änghede souligne le macabre de la pièce dans une veine post rock seventies et qui n'est pas sans rappeler le dernier A Perfect Circle pour la profondeur de l'ambiance.
Justin Greaves ne renie pas ses influences et s'en inspire pour élaborer une musique originale à la personnalité bien affirmée. Ainsi, l'auditeur retrouvera du Marilyn Manson dans 'Madman', du Opeth au cœur du prenant et magnifique 'Times, They Are Raging' et du Pink Floyd tout au long de l'album. Le closer éponyme 'Great Escape' est même construit comme un tribute en forme de clin d'œil au Floyd avec sa rythmique funk à la 'Echoes' et ses nombreux solos aériens très gilmouriens. Une audacieuse façon de clore l'album d'une douce volupté qui contraste avec la noirceur de l'ensemble.
Seul accroc dans cette noire beauté, 'Nebulas', se voulant plus gai et enlevé, résolument pop et presque dansant, ne décolle jamais malgré la voix hypnotique d'Helen Stanley, et dévient vite monotone, traînant un peu longueur. Dommage, mais pas rédhibitoire tant la richesse et la profondeur du reste sont impressionnantes. Les musiciens sont au sommet de leur art et font montre d'une technique au-dessus de la moyenne. Il est même nécessaire de souligner la performance de Greaves derrière les fûts, particulièrement sur 'Times, They Are Raging', incontestable sommet d'intensité et d'émotion de ce "Great Escape".
Crippled Black Phoenix livre son album le plus abouti et le plus intense. Alors, bien sûr, la musique de Justin Greaves et les textes traitant majoritairement de la mort ne respirent pas la joie de vivre, et il vaut mieux les éviter en cas de forte dépression, mais "Great Escape" délivre une charge émotionnelle hors du commun avec un style inimitable malgré les nombreuses influences immédiatement reconnaissables. Le post rock est un fourre-tout très pratique pour ranger les musiques difficiles à classer. Crippled Black Phoenix c'est tellement plus que ça qu'il est inutile de lui coller une étiquette, l'écouter est bien plus efficace pour s'en rendre compte, et bien plus enrichissant.