Une livraison de Gorod est souvent une bénédiction attendue par les fans de musique extrême(ment) raffinée. Depuis plus de dix ans, les Bordelais couvrent leurs terres ancestrales d’une violence technique et d’explosions sonores imparables. Leurs productions passées sont des phares éclairant la mémoire des aficionados, alors que leurs productions à venir sont et seront des plongées dans des univers personnels, sonores et déstabilisants. Après un EP thrash (“Kiss the Freak”) en sorte de clin d’œil, ils reviennent à leurs amours premières : la technique mêlée à des instants paisibles et une furie cataclysmique. Mysticisme, colère et mélodie habitent l’album qui est la quintessence des oraisons incantatoires et des mélodies racées du combo. S’appuyant sur un thème céleste et sur des figures mystiques, la formation construit un album précieux où elle s’immerge dans un maelström brutal, duquel surnagent des mélodies raffinées.
La première accroche se fait avec ‘Bekhten's Curse’ qui expose des phrases graciles. Même si auparavant ‘Wolfsmon’ avait dessiné des passages musicaux intéressants, c’est cette étape qui affirme que la production veut être droite, rigoureuse et émouvante. La voix éraillée et les riffs d’une grande complexité en jaillissent telle une lumière qui transperce le brouillard opaque des vibrations animales. C’est aussi avec l’introduction de ‘Aethra’, sorte de valse guitaristique au son à peine crunchy, que se tisse la frêle toile enluminée d’un film sombre hypnotisant. Néanmoins les vibrations saturées et la voix caverneuse reprennent vite le dessus, et comme on entre en religion, elles répandent un évangile noir qui domine le monde sépulcral du death.
Le parcours émotionnel se prolonge avec ‘Hina’ à la six-cordes digne des meilleurs shredders. La révélation suivante au long de cette route pavée de mélodies survient lors de ‘And The Moon Turned Black’, quand les guitares parallèles entonnent un duo suave, savant, sucré et sensuel. Puis ‘Goddess Of Dirt’ impose ses passages d’anthologie où les instruments font naître une petite larme d’envie à tout musicien appliqué.
La violence associée à une technique imparable induisent une succession de montagnes russes émotionnelles, entre tensions et relâchements, entre paix retrouvée et colère teigneuse, entre le limpide et le noirâtre. La violence y est saupoudrée avec application, les blasts habilement insérés alors qu’une multitude de partitions techniques parsèment chaque seconde (et notamment ‘Inexorable’) : riffs techniques et accélérations habiles qui produisent un impact émotionnel fort. Enfin ‘A Light Unseen’ délivre une belle leçon de colère et de puissance brutale, lorsque la voix caverneuse rugit, que la guitare lourde et épaisse emplit l’espace sonore et que la batterie écrase tout sur son passage.
Par instants les riffs flirtent avec le funk, comme c’était déjà le cas avec “A Maze of Recycled Creeds” ou “A Perfect Absolution”. Collisions de genres, collisions de mondes, qui hissent le style au-delà de ses propres limites. Dans cet héritage funk, Gorod puise le groove imparable et le régurgite en un nouveau groove death (‘The Sentry’), joue avec des variations qui clouent au mur, avec des faux instants paisibles qui sont autant d’occasions pour assassiner les oreilles (‘Chandra And The Maiden’). Une multitude de contrastes, entre obscurité et lumière, entre plaisir et terreur, entre des sentiments humains exacerbés engendrant une multitude de couleurs musicales.
Gorod nous offre une musique visionnaire, exaltée, percutante, suave et ébouriffante. “Aethra” vacille entre violence noire, musicalité folle et maîtrise technique ahurissante - la comparaison avec Origin, Suffocation, Archspire, Necrophagist ou Obscura n’est pas si déplacée que cela. Le combo évolue donc, s’ouvre à la variété, affermit son propos, confirme sa personnalité et se hisse au panthéon des divinités death. C’est peut-être la piste ‘Inexorable’ au titre prémonitoire... ascension inexorable qui fait le pont entre des aspirations mélodiques et une pureté stylistique et qui permet au groupe de déployer ses ailes pour se hisser au-dessus de la fange qui a engendré cette musique. Puis de ces hauteurs, Gorod contemple son œuvre, et tel le malin génie, nargue ceux qui oseraient lui ravir ce trône.