Si Lucifer, qu'elle a fondé en 2014 suite au split de The Oath, est avant tout la créature de Johanna Sadonis, chanteuse aussi séduisante que charismatique, il n'en demeure pas moins que la présence à ses côtés de l'ancien guitariste de Cathedral, Gaz Jennings, ne fut pas étrangère à l'exposition dont le groupe bénéficia d'entrée de jeu. Fruit de cette copulation entre le fils spirituel de Tony Iommi et la vestale d'un doom nimbé d'occultisme victorien, le premier album de cette alliance anglo-allemande fait partie de ces offrandes qui ont le mieux réussi cette hybridation entre lourdeur sabbathienne et féminité ténébreuse.
Le départ, amical, de Jennings et du reste des musiciens dont le batteur Andrew Prestridge, qui avait suivi la teutonne après le sabordage de The Oath, n'augurait malheureusement rien de bon pour Lucifer dont on pouvait craindre qu'il ne subisse une fin (trop) prématurée. Mais c'était oublier que Johanna possède un goût très sûr en matière de compagnons de route (et un beau carnet d'adresse). Qui mieux que Nicke Andersson pouvait prendre la place du Britannique et être derrière les fûts ? C'est bien entendu moins le batteur d'Entombed que l'ex Hellacopters (entre beaucoup d'autres) que la chanteuse a recruté, quand bien même ce deuxième opus ne se montre jamais avare en lourdeur, moins toutefois qu'avec Jennings à la guitare. Complété par le six-cordiste Robin Tidebrink (Saturn), c'est un line-up resserré qui a enfanté ce "Lucifer II" dont le mixage a été confié au Suédois Ola Ersfjord (Primordial).
Eu égard au talent au mètre carré, la qualité des nouvelles chansons ne saurait être contestée. Mises bout à bout, celles-ci forment une procession à la fois sombre et furieusement rock'n'roll, vintage sans être poussiéreuse. La rythmique est gourmande et porte le sceau groovy d'Andersson, les riffs nourris au hard rock brillent aussi d'un éclat tellurique, témoin le final de 'Faux Pharaoh' sur lequel plane l'ombre de Cathedral (et donc de Black Sabbath). Et puis, il y a cette voix, trempée dans une magie noire sucrée, qui confère à l'ensemble une bonne part de son mystère et de sa force ensorcelante, à l'image de 'Phoenix', saillie racée aux portes du fantastique.
Sirène échappée d'un film de la Hammer des années 70, Johanna nous guide à travers un voyage dans le temps riche de mille couleurs. Nerveux le temps de l'inaugural 'California Son', le menu fait ensuite la part belle aux ambiances veloutées ou plus pesantes ('Before The Sun'), même si la brusque et jouissive accélération qui sabre 'Eyes In The Sky' illustre qu'il ne s'interdit pas quelques changements de ton. Le superbe 'Dreamer', qui étire sur presque six minutes une toile entêtante, 'Dancing With Mr. D', tavelé de teintes soul ou 'Aton' constituent l'écrin précieux d'un doom rock hypnotique et terreux, chaudron où se mélangent vocalises habitées de prêtresse nocturne, lignes de guitares rougeoyantes mais coulées dans l'acier et tempo aussi accrocheur que plombé.
Moins lourd que son devancier, "Lucifer II" se veut en revanche plus nuancé, signe de vie d'un groupe rénové et transcendé.