Gageons que l'appui qu'il reçoit désormais de la part du mastodonte Nuclear Blast devrait permettre à Khemmis de répandre sa bonne parole à une plus grande échelle. De fait, nombreux sont ceux qui pousseront la porte d'entrée de l'univers des Américains avec "Desolation". Ils ne pouvaient rêver mieux même si les fidèles du premier rang noteront que le groupe, sans la changer radicalement, fait montre sur ce troisième album d'une volonté de policer sa signature après avoir enfanté un "Hunted" (2016) unanimement salué par les spécialistes (ceci expliquant peut-être cela).
Habillé, à l'instar de ses devanciers, d'un très beau visuel que signe le fidèle Sam Turner, cet opus récite les Tables de loi d'un doom metal d'une grande pureté de trait, lumineux et trempé dans l'acier, ce qu'il doit déjà beaucoup à son principal chanteur, narrateur de récits épiques et funestes. Phil Pendergast procure des frissons avec son chant (clair) puissamment émotionnel qui n'est pas sans rappeler celui de Tom Phillips de While Heaven Wept, patriarche dans les pas duquel Khemmis paraît de plus en plus vouloir marcher à l'image d'un 'Flesh To Nothing' majestueux et solennel.
Toutefois, le metal que sculpte le quatuor de Denver conserve une dureté dont les guitares charnues et menaçantes ('The Seer') sont les robustes arcs-boutants que poissent de mazout les growls de Ben Hutcherson. Le fait que le batteur Zach Coleman cogne aussi chez les death metaleux de Vasaeleth témoigne de cet ancrage parfois ténébreux lequel fait plus qu'affleurer à la surface d'un 'Maw Of Time', sans doute le titre le plus sombre et extrême du lot, que sabrent de noires fulgurances.
Bénéficiant d'un son massif concocté par Dave Otero , "Desolation" est donc une œuvre toute en contraste à la fois limpide et pétrifiée, accrocheuse par moments, tel ce 'Isolation' au rythme enlevé, le plus souvent plombée et minée par une mélancolie belle à pleurer qui se double d'un inexorable désespoir dont 'From Ruin', du haut de ses quasi dix minutes au garrot, est le monumental cénotaphe.
Mais il n'en demeure pas moins qu'en soulignant ses racines heavy metal à la Maiden, voire tout simplement hard rock façon Thin Lizzy, le groupe injecte une bonne dose de mélodies qu'irriguent ces harmonies de guitares que ne renieraient pas les deux références citées. Heureusement, une noirceur charbonneuse est donc toujours là, en maraude, tapie dans les recoins de ces compositions architecturées avec minutie, comme le démontre ce 'Bloodletting', révélateur de cette écriture ravinée qui, après une première partie placée sous le signe d'un doom élégiaque, bascule au fond d'un puits sans fin aux confins du death.
Troisième effort des Américains, arrivant qui plus est après l'acclamé "Hunted", "Desolation" était fortement attendu. Fort d'un menu impeccable, écartelé entre beauté et ténèbres, ne doutons pas qu'il devrait confirmer Khemmis parmi les formations les plus douées du moment et lui ouvrir le succès commercial qu'il mérite.