C'est un véritable Léviathan qui s'écrase sur nous dès l'écoute lancée par un 'Gone' qui à la fois gronde d'une puissance sismique et explose tous les carcans, toutes les frontières d'un metal totalement protéiforme dont les tentacules trempent leur dard autant dans le cyber thrash, le grunge voire même le doom.
Dans ce refus d'être inféodé à quelque genre que ce soit réside déjà une bonne part de la force de Black Juju Inc. dont on sent qu'il est mûr pour tout arracher dans son sillage. De fait, on devine très tôt en le déflorant que "Crosses & Crossroads" n'est pas la première expérience d'un groupe un peu maladroit mais le fruit d'une longue maturation, d'un travail exigeant. Un galop d'essai il y a six ans, dont le nom - "The Call Of Juju" - témoigne que ses créateurs ne sont pas sans humour alors même que leur art ne prête pas vraiment à sourire, suivi d'un EP, "Cannibal Fest", trois ans plus tard, et de nombreux concerts ont permis aux Français de peaufiner un matériau incandescent et abrupt.
Le résultat, brillant, est incarné par cette deuxième saillie, robuste et vrillée de l'intérieur par une tension sourde. L'ambiance distillée, est sombre, poisseuse, léchant de sa langue malade une urbanité froide et déglinguée. Libérant des émanations asphyxiantes, "Crosses & Crossroads" arpente une route plongée dans une obscurité opaque qui forme un mur que ni lumière ni joie ne fissurent. Jamais. Même quand nos lascars se posent un moment pour se lover au fond d'un rocking-chair le temps du vaguement sudiste 'Rude Awakening' ou baguenauder le long d'un chemin désertique et caillouteux ('Outside' que voile un suaire d'orgue brumeux), le malsain l'emporte, suintant des atmosphères croupissantes ('Satan Claus').
Si des relents bitumeux de cold wave s'échappent d'un 'Attractive' glacé, l'ensemble claque comme un foc tendu par un souffle apocalyptique, secoué par une énergie vrombissante ('Love'). Rythmiques de foreuses et chant féroce, les musiciens sont à l'unisson d'une brutalité pesante ('Dead') qui laboure dans le sol des travées profondes au cœur desquelles infuse une noirceur aussi glauque que plombée ('Green'). Long de plus de sept minutes, 'Stone Sawyer' entraîne le quintet aux confins d'un doom suffocant presque charnel dans son expression nocturne et morbide. L'album, dans son entièreté, baigne ainsi dans un climat trouble, (re)poussant le pèlerin dans les ombres viciées d'angles morts inquiétants.
Tout du long passionnant et avec un brio insoupçonné, "Crosses & Crossroads" accouple force rampante et émotions désincarnées en un creuset métallique froid et grouillant.