Faire paraître un album sur le label Soleil Zheul pourrait sembler suffisant à tout mélomane éclairé pour savoir à quel genre de musique il va être confronté. Et pour ceux qui l'ignoreraient, le zheul est un terme kobaien inventé par Christian Vander et s'appliquant au style musical très caractéristique développé par son groupe, Magma, mélange de progressif d'avant-garde et de jazz rock dans lequel les improvisations les plus débridées côtoient des motifs hypnotiques à force d'être répétés et où les dissonances font bon ménage avec des thèmes très mélodiques.
Bref, le zheul reprend des caractéristiques tellement codifiées que le mot se suffit presqu'à lui seul, toute description plus élaborée semblant superflue. Mais voilà, si Vak, groupe français formé en 2008 autour de son batteur, Vladimir Mejstelman, digne émule de Vander, fait allégeance au zheul, son deuxième album, "Budo", s'éloigne suffisamment souvent des fondamentaux pour qu'il ne soit pas trop vite catalogué dans ce genre exigu.
Un simple coup d'œil à la pochette devrait suffire à attiser la curiosité des amateurs de rock progressif : trois titres sont au menu, dont deux monuments, l'un dépassant les 27 minutes, l'autre les 23. Et si progressif sous-entend une musique qui progresse, vous ne serez pas déçus car Vak ne s'embarrasse pas de couplets-refrains mais déroule au contraire une musique en perpétuelle évolution, un progressif free style qui enchaîne les variations de thèmes, de tempos, d'atmosphères tout en restant parfaitement maîtrisé de bout en bout.
Le premier titre, 'Budo', est certainement celui qui reste le plus proche du zheul, notamment dans son premier mouvement que Magma ne renierait pas : thème sinueux et répétitif, musique sombre, parfois chaotique, l'élève dépasse même le maître, gommant l'agressivité et les répétitions de son modèle pour plus de rondeur et de surprises. Mais Vak affirme rapidement sa personnalité, incorporant aux éléments issus du zheul d'autres semblant tout droit issus d'un progressif à la Hatfield & The North, le tout saupoudré de touches dissonantes et expérimentales proches du RIO (rock in opposition). Ce mélange de sonorités anguleuses, de noirceur, de fluidité et de douceur crée un cocktail étonnant, unique… et diablement séduisant.
'Hquark' et 'Au Fond des Creuses', tout aussi originaux, se rapprochent encore un peu plus du rock canterburien, le piano électrique et la voix donnant cette touche Hatfield & The North. 'Hquark' notamment pourrait prétendre à rejoindre le fleuron du Canterbury sans déparer. La musique navigue sans cesse de passages virevoltants à des plages sereines, voire atmosphériques. Il y a à la fois beaucoup de liberté et une trame en filigrane suivie par les musiciens, qui évite que l'auditeur ne se perde en chemin.
Si les claviers sont très présents tout au long de l'album, le traversant d'un jeu fluide et délié, la basse n'est pas moins remarquable, qui tricote une partition tout sauf rythmique, de même que la batterie au jeu varié dépourvu de toute linéarité. Enfin, impossible de passer sous silence la prestation vocale d'Aurélie Saintecroix, digne héritière des Northettes. Interprétant chants et contre-chants omniprésents ou presque, elle réussit le tour de force de nous captiver une heure durant de ses "simples" vocalises, diversifiant ses effets et évitant toute lassitude ou tout ridicule.
En fondant Magma, Art Zoyd et Hatfield & The North dans un même creuset, Vak tentait un pari audacieux qui s'avère payant : "Budo" est captivant d'un bout à l'autre, alliant des harmonies vocales voluptueuses à une musique aussi originale qu'enchanteresse. Une expérience à ne pas manquer pour peu que vous ayez l'esprit suffisamment ouvert.