En dépit de la bonne vingtaine d'années qu'il affiche au compteur, Madder Mortem n'a jamais réellement croisé qu'un succès d'estime. Trop singulier, son art ne correspond à aucun canon. Il possède dans ses rangs une chanteuse mais celle-ci évolue à des années-lumière de la plupart de ses consœurs métalliques. Puissante, théâtrale et expressive, sa voix n'est ni angélique, ni éthérée. Les Norvégiens cultivent un goût pour une mélancolie plombée mais l'architecture qu'ils dressent se révèle tordue, bizarre, déglinguée, ce qu'elle est même de plus en plus, ce qui leur a vite fermé les portes de la chapelle doom que l'inaugural "Mercury" a magistralement poussées en 1999.
Madder Mortem fait partie de ces entités indéfinissables auxquelles on a bien essayé de coller maintes étiquettes. Le dark metal a succédé au doom et aujourd'hui certains osent même le rattacher au progressif ! C'est dire à la fois la difficulté de cataloguer le combo et où celui-ci en est aujourd'hui, errant quelque part entre plusieurs dimensions. Seul mais ô combien vénéré par une poignée de fidèles que n'effraient ni les vocalises parfois hystériques ni les riffs corrosifs gros comme des câbles à haute tension, il poursuit son chemin, sans décevoir (à l'exception peut-être de "All Flesh Is Grass", opus transitoire entre "Mercury" et "Deadlands"), aiguisant à chaque fois notre curiosité. Relancés par "Red In Tooth And Claw" qui, il y a deux ans, avait bouché une longue période de silence discographique, les Scandinaves accouchent en cet automne d'un septième effort qui devrait ravir donc son public sans pour autant l'élargir. Ce dont ils n'ont sans doute que faire, ayant compris depuis longtemps que leur musique est trop hermétique pour être fédératrice.
Ceci étant, "Marrow" paraît plus accessible (tout est relatif) que son prédécesseur qui ne livrait ses trésors qu'au terme de multiples va-et-vient dans les profondeurs rouillées de son intimité. Une folie contaminatrice ronge cependant toujours ces émanations funestes, compositions aux allures de blocs massifs, comme l'illustre 'My Will Be Done' que secoue dans ses pesantes fondations, une tempête hallucinée. Mais, outre la tranquillité (faussement) apaisante d'un 'Far From Home' ou la pâleur néanmoins maladive que dégage 'Stumble On', titres étonnamment posés, c'est un inexorable désespoir qui pulse sous la surface, vrillant les tempes d'un album prisonnier d'une marée noire.
Sous les coups de boutoir de ces guitares robustes et vermineuses et de ce chant puissamment émotionnel, couve une beauté mortifère qui trouve dans 'Liberator' et 'Moonlight Over Silver White' un écrin sublime, pistes monumentales d'une force obsédante, tour à tour schizophréniques et majestueuses, viciées et orgasmiques. Selon ses habitudes, Madder Mortem nous entraîne cependant toujours dans sa démence, multipliant les fausses pistes, les angles morts, témoin ce 'Until You Return' dont les atours sombrement jazzy sont brutalement phagocytés par une lèpre ferrugineuse. Du haut de ses neuf minutes, le (quasi) terminal 'Waiting To Fall' synthétise à lui seul les tourments de cette offrande aussi belle que (o)rageuse en accouplant tempo reptilien et riffs léchés par une rouille envoûtante, le long d'un Golgotha glacial et funèbre, que surplombe la voix unique d'Agnete, laquelle n'a rien perdu de sa capacité à éroder tout ce qui l'entoure.
Pierre supplémentaire d'un édifice qui n'appartient qu'à ses auteurs, "Marrow" est une œuvre froide et déchirante dont l'âtre brûle d'un feu désespéré.