Longtemps Doyle Bramhall II a évolué dans l’ombre. Dans l’ombre de son père d’abord, Doyle Bramhall, grand batteur et chanteur de blues, ami des frères Vaughan, collaborateur de l’aîné Jimmie et inspirateur du cadet Stevie Ray avec qui il composa de nombreux succès. Le fils peut d’ailleurs rendre grâce au père d’avoir eu la chance de débuter la guitare sur les genoux du grand SRV. A la mort tragique de celui-ci, le jeune Bramhall tenta l’aventure de groupe en fondant The Arc Angels avec le Double Trouble, la section rythmique de Stevie Ray. Puis Eric Clapton l’engagea comme guitariste de tournée et comme producteur. La collaboration dura plus de dix ans et devint vite une histoire d’amitié entre les deux hommes. Clapton admirait son jeu de guitare autant que sa capacité à s’adapter à différents styles. Roger Waters ne s’y est pas trompé, qui l’engagea comme guitariste de sa tournée "In The Flesh". Mais c’est bien dans l’ombre et derrière les consoles que Doyle Bramhall II eut le plus de succès, en tant que producteur et sideman de Gregg Allman, Elton John, Norah Jones, Sheryl Crow et bien d’autres. "Shades" est son cinquième album solo et il est passionnant à plus d’un titre.
Tout l’art de Doyle Bramhall II consiste à caresser l’auditeur dans le sens du nerf auditif, à l’envelopper d’harmonies vocales gorgées de soul, de guitares chatoyantes et de chœurs gospel pour finalement l’emmener ailleurs, vers des compositions sinueuses et plus complexes qu’il n’y paraît. Si la musique de Doyle Bramhall II est forcément d’inspiration blues (‘Live Forever’, ‘She’ll Come Around’) et soul (‘Love And Pain’, ‘Searching For Love’ en duo avec Norah Jones), l’Américain apporte à chaque composition un éclectisme subtil et toujours à propos. Les morceaux ‘Everything You Need’, pour lequel Eric Clapton se fend d’un solo rempli de feeling dont il a le secret, ou ‘London To Tokyo’ sont à ce titre emblématiques de l’art de Doyle Bramhall pour transcender les ballades soul par l’ajout de groove funky semblant couler de source. Ainsi le guitariste parsème ses compositions de ses nombreuses influences, psychédéliques (‘Hammer Ring’), progressives (‘Parvanah’) et pop rock (‘Consciousness’) sans jamais en rajouter ni rompre la cohérence de son discours musical. Si bien que même la reprise de Bob Dylan ‘Going Going Gone’ et ses cuivres jazzy surpasse l’original par son raffinement.
Inspiré, spirituel et presque érotique, "Shades" est un album chaleureux aux fragrances délicates et subtiles qui se déguste comme un vin millésimé vieilli dans les fûts en bois dont on fait les guitares. Quelques notes de finesse dans ce monde de brutes.