Huitième enclume du (power) trio américain, "Electric Messiah" marque son vingtième anniversaire (déjà !), âge somme toute vénérable qui du reste, ne s'entend absolument pas, tant la bête dresse toujours une écrasante turgescence. Mais il se veut aussi - et surtout - un vibrant hommage à Lemmy auquel Matt Pike, avec sa voix goudronneuse qui sent la Gitane Maïs et le whisky de contrebande, a souvent été comparé.
Il est vrai que si Motörhead avait fait du doom, il aurait pu alors s'appeler High On Fire. Même organe vocal testiculeux, même énergie primaire digne d'une dynamo vivante, même rugosité velue, même façon de foncer à l'essentiel sans artifice ni prétention. C'est le rock, le vrai, buriné, taillé dans la pierre. Le morceau éponyme paie ainsi un tribut évident à la Tête de Moteur que le regretté bassiste aurait (presque) pu composer s'il avait dilué de l'EPO dans son Jack Daniel's du matin.
Car, malgré cette filiation revendiquée, High On Fire demeure avant tout un des bûcherons les plus puissants ayant jamais foulé la terre, abattant du gros bois avec la force sismique d'une tronçonneuse Stihl aussi agressive qu'incontrôlable. Si la frappe massive de Des Kensel écrase tout à la manière d'un mammouth furieux, Matt Pike demeure le principal burin servant à sculpter l'édifice solidement enraciné dans un sol mazouté. L'homme n'est pas seulement cette voix frottée avec du papier de verre, c'est surtout un manche, épais et implacable duquel s'écoule un magma tellurique qui ne semble pas prêt de se tarir. Le récent et résurrectionnel "The Sciences" d'un Sleep dont nous n'attendions plus un nouvel album quinze ans après "Dopesmoker" et "Electric Messiah" confirme la bestiale vitalité du guitariste.
Par sa monstrueuse réussite, cet opus apporte un démenti à ceux qui estiment que le groupe alterne grands disques et d'autres moins mémorables sans pour autant réellement décevoir. Digne successeur de "Luminiferous", il galope durant plus de cinquante minutes à travers un paysage caillouteux qui gronde sous les coups de boutoir de plaques tectoniques qui se chevauchent. Au diapason d'une lourdeur pachydermique, le menu alterne saillies survoltées et pesantes reptations. Au rang des premières, 'Spewn From Earth', 'Electric Messiah' bien sûr ou 'Freebooter' cultivent le côté le plus brutal des Américains qui foncent pied au plancher en faisant trembler les murs dont ils arrachent la tapisserie avec cette rythmique de marteau-pilon et cette six-cordes qui carbure au vitriol.
Quant aux secondes, qui n'hésitent pas à tutoyer les dix minutes au jus, elles sont incarnées par 'Steps of The Ziggurat/ House Of Enlil', 'Sanctionned Annihilation' ou le plus râblé 'The Witch And Christ', titres redoutables dont le caractère épique ne les rend pas moins patibulaires. Enfin, selon son habitude, High On Fire achève son périple en beauté avec un 'Drowning Dog' aussi immense que cataclysmique et dont l'introduction illustre le bouleversant feeling que Matt Pike peut faire couler de son puissant mât.
Comme le bon vin, les Américains se bonifient et écrasent la concurrence. Sonner plus heavy que le trio paraît impossible. Quelle baffe !