Depuis sa formation en 1988, le groupe de punk Anti-Flag n´a cessé de brûler les bannières avec une préférence pour celle étoilée. Pour son douzième album studio, "American Reckoning", la formation de Pittsburgh se risque à revisiter son répertoire à la sauce acoustique. Plusieurs interrogations nous viennent à l'esprit : le groupe est-il devenu un tigre de papier ? Mais également, accusés souvent d´être de piètres musiciens, les punks ne risquent-ils pas de révéler quelques faiblesses en se mettant à nu devant les critiques prompts à les battre ?
Pour sa sélection des titres, le groupe a préféré rafraîchir les dernières productions. La guitare acoustique apporte cette touche colorée qui sans ironie aucune permet de prendre une distance vis-à-vis de la cible. La joyeuse ´Set Yourself On Fire´ présente sur "American Spring" parle pourtant de mal-être et de pulsions suicidaires ! Le chanteur, Justin Sane (admirez le jeu de mots), n´a pas perdu de sa verve, son chant hargneux et sans concession sera la principale empreinte du pedigree punk de la formation sur cet album. On s´amusera des réponses du chœur au chant principal sur ´Trouble Follows Me´ ou ´Set Yourself On Fire´, du refrain martelé d´ ´American Attraction´ ou ´When The Wall Falls´ dont les refrains lorgnent vers un aspect plus pop alors que les couplets gardent une énergie punk menaçante. En fin d´album, le groupe choisit trois reprises qui inversent le processus : parmi elle, l'excellente ´Gimme Some Truth´ de John Lennon qui renoue avec la guitare électrique (entendue brièvement plus tôt) qui nous fait conclure que le groupe est loin de s'être assagi.
Pourtant, on pourrait regretter que le groupe ait respecté les quotas restrictifs du punk en livrant un album d´une demi-heure tout rond. Mais pour cet exercice de transmutation de matières, une durée minimale était nécessaire pour ne pas être littéralement noyé sous les glaviots acoustiques. On aurait même pu raccourcir un peu plus le disque, des morceaux comme ´Racists´ apparaissant vite comme doublons des autres (avec en plus un chant peu harmonieux pour de délicates oreilles). Il est fort dommage que le chanteur n´ait pas adouci son chant pour l´exercice afin de rendre l'illusion encore plus parfaite. ´Brandenburg Gate´ aurait pu réussir son transfert en ballade mais le chant éraillé gâche le potentiel (d'autant que Tim Armstrong de Rancid ou Transplants n'est pas là pour lui renvoyer la balle vocale). On ne peut certes pas demander à Bruce Springsteen de modifier sa façon de chanter, mais on ne peut pas chanter une ballade de la même manière qu´une chanson punk (sauf pour Killing Joke, mais ils évoluent dans une sphère supérieure). Après l´écoute d´une piste, un auditeur peu indulgent pourrait avoir l´impression d´avoir entendu le même morceau s'épuisant en série monstrueuse...
"American Reckoning" est l´ultime provocation d´Anti-Flag : en conservant ses paroles écrites au vitriol, le groupe apporte une fraîcheur acoustique ironique. Malheureusement, le manque de diversité harmonique a tôt fait de tourner en rond mais pour notre plus grand plaisir, le groupe ajoute trois reprises de morceaux classiques revisités à la sauce punk. Anti-Flag aurait dû se draper d´un peu plus d´audace, trouver un équilibre plus parfait entre punk et acoustique et surtout canaliser l'énergie morbide de son chanteur.