Aborted est un groupe qui terrifie les vieilles dames ou les non initiés, car sa musique est âpre, violente et sans concessions. Depuis plus de vingt ans, les musiciens expulsent des coulées de substances noirâtres dans les oreilles de qui veut bien les écouter. Quand Music Waves avait goûté la saveur âpre de “Termination Redux”, il avait ressenti un plaisir masochiste à être submergé de vibrations animales. Voici leur dernière production, “TerrorVision”, sorte de grand écart entre des caveaux ornementés et des cimetières terreux gorgés de peur... en somme un album aux multiples facettes.
La multiplicité se ressent dès l’introduction ‘Lasciate Ogne Speranza’ ('Laissez toute espérance’, vous qui entrez), lorsque les bruits d’ambiance s’unissent à des riffs telluriques. Les vers de Dante reflètent donc à merveille l’ambiance gluante qui plane sur l'opus, car aucune espérance mélodique ne l'habite : les titres sont violents, les cris inhumains et les riffs de plomb. Mais au-delà de la simple violence, on devine que la formation veut effleurer des sujets plus humanistes (‘TerrorVision’) et brandir un nihilisme bruyant face à un désenchantement social moderne.
Entre deux eaux, ‘Altro Inferno’ l’est certainement : riffs de guitare plombés et rythme harassant combinés à l'intervention d'une guitare solitaire aérienne qui rappelle l'histoire du style, lorsqu'une mélodie sombre transperçait un magma sonore mortifère. ‘Exquisite Covinous Drama’, à la production claire où chaque instrument trouve sa place, est effrayant de bout en bout. Puis ‘The Final Absolution’ propose une introduction aérienne, bourrée d’ambiance et de riffs plombés qui dessinent une apocalypse sonore mélodique à la limite du soutenable. La voix variée y navigue entre les multiples lignes d’une partition élaborée, effleurant une multitude de styles extrêmes. Cette composition énergique est un pur moment de death metal, transpercé de part en part par une intervention solitaire technique et rapide au toucher fabuleux.
Le côté brutal s’exprime avec ‘Vespertine Decay’, piste à l’ancienne qui déploie ses ailes sur un rythme ternaire. Toutefois loin d’une valse viennoise, elle porte en elle une énergie du désespoir sur laquelle le groupe greffe des partitions de guitare époustouflantes soutenues par une section rythmique fluctuante impeccable. La variété habite aussi les pistes plus classiques grâce notamment à un chant aux multiples intonations. Cette variété nourrit un attrait irrépressible, impose un groove nouveau qui pousse à se jeter dans la fosse aux lions (‘Squalor Opera’). Ce penchant pour l’énergie dépouillée d’artifices est la colonne vertébrale du groupe, mais aussi celle de ‘Visceral Despondency’ qui balance des uppercuts à l’estomac, laissant ainsi l’auditeur le souffle coupé et le sourire extatique au bord des lèvres. Cette même violence qui engendre un vent de folie lorsque le rythme dégénère en maelström bouillonnant où chaque instrument impose sa propre violence ultime (‘Deep Red’).
Aborted a désormais un pied dans une tombe infâme et l'autre sur de la soie douce et sensuelle. En effet, il ose ici la variation, dans le style et la mise en place, mais aussi dans les intentions. Car bien loin d’un album gore rectiligne, la rondelle est un grand huit émotionnel porté par un sens de l’abattage massif et une maîtrise technique bluffante, qui nous conduit irrémédiablement vers un enfer gorgé de plaisirs sensuels captivants.