Bassiste et principal compositeur de Seigmen et Zeromancer, deux groupes de rock et rock industriel norvégiens, Kim Ljung décide de garder certaines de ses compositions pour un projet parallèle solo qu’il débute en 2005 sous le nom très personnel de Ljungblut (le sang de Ljung). S’ensuivent trois albums en solitaire avant de voir un groupe prendre corps pour la sortie de "Over Skyene Skinner Alltid Solen" en 2011. Clôturant un cycle de trois disques en langue norvégienne, deux ans après "Ikke Alle Netter Er Like Sorte", Ljungblut sort "Villa Carlotta 5959".
La Villa Carlotta est un établissement hôtelier luxueux créé il y a près de cent ans situé à Los Angeles et connu pour avoir été le lieu de prédilection de la vie rock bohémienne américaine (Jim Morrison y avait ses habitudes). L’insolite de l’appellation trouve un écho dans la multitude de sujets abordés dans cet album allant des problèmes de migraine chronique de Kim Ljung aux caméras de marque Hasselblad abandonnées par manque de place dans la capsule de retour du premier voyage sur la Lune d’Appolo ou le dramatique accident d’avion de 1949 sur la colline turinoise Superga. La musique de Ljungblut est moins diversifiée que le choix des titres ou des thèmes traités et peut s’interpréter comme un rock-pop aux accents gothiques, alternatifs et electro très chargé en spleen. Elle en est même l’antithèse tant l’album est d’une consistance monolithique avec ses rythmes lents, ses synthétiseurs analogiques et ses chants lancinants qui renforcent l’impression de pesanteur et de mélancolie.
L’auditeur passe par tout le spectre des émotions allant de la douce nostalgie à la profonde mélancolie selon que le format des morceaux tende plutôt vers le mid-tempo ou la lente ballade onirique. Parmi les mid-tempi on découvre par exemple ‘Hasselblad’, ‘235’ ou ‘Diamant’ aux tonalités new-wave qui transportent l’auditeur dans les années 80 quand les The Cure et Depeche Mode inondaient les ondes de leur pop. Les ballades sont sombres avec des compositions déchirantes comme ‘Superga’ et ‘Aldri helt stille’ aux délicates prestations de piano et de purs moments de mélancolie comme les blackfieldiennes ‘Oktober’ et ‘Til Warszawa’. Parfois éprouvante, l’écoute de "Villa Carlotta 5959" s’avère étonnamment captivante et on se laisse prendre par le bercement apaisant des rythmes, l’accueil reposant des mélodies et le pittoresque des impressions visuelles qu’elles provoquent. Le chant en norvégien, loin d’être repoussant, complète admirablement l’effet de poésie introspective de l’écriture de Ljungblut.
La musique de Ljungblut se place aux antipodes des codes initialement présentés à l’auditeur avec sa référence ensoleillée et hollywoodienne de la Villa Carlotta et sa pochette d’un bleu turquoise. D’humeur automnale et de sensibilité scandinave, "Villa Carlotta 5959" est un refuge hors de l’espace et du temps particulièrement agréable (et nécessaire) à pénétrer pour se couper quelques instants de l’urgence de la vie.