Bob Drake fait partie de ces musiciens underground, fourmis de l'ombre dont on entend trop peu parler car n'intéressant guère les médias et néanmoins étonnamment productifs. Membre fondateur du groupe d'avant-garde Thinking Plague puis musicien dans diverses formations, il mène également une carrière solo dont "L'Isola Dei Lupi" est le dixième jalon. Il était temps que Music Waves se penche sur le bonhomme !
"L'Isola Dei Lupi", l'île des loups, n'est pas comme son titre pourrait le laisser penser chanté en italien mais en anglais. Sans être véritablement conceptuel, l'album nous invite à visiter cette île et ses multiples allées, escaliers, arches et grottes en 16 courtes chansons. Un joli plan dessiné permet à l'auditeur de se promener sur l'île au fil des morceaux et la pochette également dessinée n'est pas sans rappeler les efforts de Roger Dean pour Yes.
L'album s'ouvre de façon fort originale sur le titre annoncé d'une voix sobre, suivi d'un vigoureux accord de guitare. "Original" est certainement l'un des qualificatifs appropriés à ce disque car Bob Drake a un style très personnel, mélange de mélancolie, de folie douce et de fantaisie débridée. Tout est surprenant, les titres, souvent très courts, multipliant les changements de mélodies, d'instruments, de styles même. Certaines chansons calmes s'emballent brutalement, des instruments exogènes, parfois bricolés par Bob Drake, s'invitent au beau milieu d'une mélodie "comme il faut", un thème rock des plus classiques se transforme en titre expérimental, le chant est subitement interrompu par des accords plus ou moins discordants…
N'espérez pas un voyage tranquille, l'inattendu est au détour de chaque mesure. Sans pour autant, et c'est là que réside l'art de Bob Drake, que cela ressemble à un capharnaüm où se perdrait l'auditeur. Bien au contraire, l'album est étonnamment homogène en dépit de ses perpétuels contre-pieds et le mélange de thèmes mélancoliques, de passages nerveux et de purs moments d'euphorie se révèle particulièrement attachant. Si certains titres sont audacieux et réservés à un public averti ('Ycnarr's Rock Collection Pleached Path To The Cliff' et ses notes de basse sporadiques, 'Supplement To The Ritual' ressemblant au collage d'une multitude d'effets superposés ou juxtaposés, 'The Ascension Of Greyfoot Badger' et son coup de génie, une note de plus en plus stridente tenue sur 2 minutes 15 avant de s'interrompre brutalement, donnant une impression de déflagration), la plupart sont surtout étonnants par le foisonnement d'idées dont ils font l'objet.
Si Bob Drake joue de nombreux instruments (dont certains n'existent pas), les titres sont le plus souvent assez dépouillés, le chanteur privilégiant la guitare acoustique ou le banjo pour s'accompagner la plupart du temps. Sa voix au timbre fragile se tient toujours sur la limite escarpée de la justesse sans jamais tomber du côté de la fausseté. C'est ce travail d'équilibriste qui rend ces chansons intéressantes, l'auditeur ressentant la même impression que le spectateur assistant au cirque à un numéro de funambule, frissonnant à chaque fois que celui-ci menace de tomber de sa corde tremblante, pour mieux respirer quand il rétablit l'équilibre.
Au final, l'écoute de "L'Isola Dei Lupi" s'avère passionnante et fertile en frissons que ne manquera pas de générer le timbre de Bob Drake. L'artiste américain associe la créativité d'un Peter Hammill à la mélancolie d'un Robert Wyatt et à la folie décalée d'un Syd Barrett, le tout dans un style qui n'est pas sans rappeler les Who ou les Kinks. Un travail unique sur lequel tous les amateurs de musique non formatée seraient bien inspirés de jeter une oreille.