Fading Bliss évoquera avant tout quelque chose aux vieux cons dont l'auteur de ces lignes fait bien entendu partie. Non pas que le sujet de cette chronique soit un vétéran dont le nom ne parlera qu'à une poignée de quadragénaires grincheux, bien au contraire (nous y reviendrons) mais son art, lui, se veut anachronique, profondément enraciné dans la terre d'un cimetière brumeux, celui du gothic doom qui fit florès dans la seconde moitié des années 90, dans le sillage, notamment, des premiers pas romantico-caverneux de Paradise Lost, genre cependant - et malheureusement - plus guère honoré de nos jours.
Tout y est, de l'accouplement bestial entre les borborygmes masculins et un chant féminin vespéral à ces atmosphères engluées dans un froid automnal en passant par un éclat poétique et funèbre. Alors qu'il n'a vu la nuit qu'en 2009, Fading Bliss ne peut donc que tromper l'auditeur tant sa maîtrise et son allégeance à un style très daté laissent à penser qu'il est bien plus vieux que cela.
En un peu plus de dix minutes imbibées dans un éther cafardeux, 'Ocean' suffit à poser un cadre, celui d'une église abandonnée que peuplent des silhouettes fantomatiques. Ces guitares obsédantes aux allures de vigie perçant la brume, cette voix féminine vaporeuse et lyrique, ces gorges profondes venues des arcanes de la terre, nous (re)plongent avec délectation vingt ans en arrière (au bas mot). A un bon goût évident et une faculté miraculeuse de capter ce feeling mélancolique et hivernal typique du genre, le groupe associe surtout une très belle écriture, à l'origine de trois longues et superbes pièces figées à la fois dans un désespoir sentencieux et élégant.
Aux côtés de l'opener déjà cité, sans doute le meilleur titre du lot, 'Mountain' puis 'Desert' oscillent entre death gothique (pour le premier) et doom atmosphérique (pour le second), le tempo blafard prisonnier d'une gangue de regrets. Avec une flamboyance sentencieuse, les musiciens nous guident à travers les ruines d'une abbaye nichée dans un paysage qui pourrait être peint par Caspard David Friedrich. Au milieu d'un menu au sein duquel elle se glisse idéalement, surgit une relecture étonnante du 'A Forest' de The Cure que Fading Bliss transforme en hymne spectral et doomy.
Succédant à l'originel "From Illusion To Despair", "Journeys In Solitude" se révèle être un témoignage de piété au gothic doom des années 90, humble et chaleureux.