A l'heure où les groupes se tournent vers des musiques alternatives et extrêmes, certains font de la résistance et perpétuent la composition de titres dans la pure tradition pop rock. Si en Angleterre, voire dans les pays nordiques (Suède) ce style a connu un succès critique et commercial constant, il n'en est pas de même en France où l'accueil critique est plus dur, qualifiant parfois - à tort ou à raison - le genre d'insignifiant dans le paysage musical, soulignant son manque de créativité et le caractère éphémère de ces artistes (du moins francophones). Pourtant, plusieurs artistes français parmi lesquels Gainsbourg, Polnareff, Alain Chamfort ont contribué à redorer cette image tronquée de la pop à la française avec une certaine réussite.
Fort de plusieurs EP, Rotterdames s'inscrit dans ce sillage de résistance et propose en cette année son premier album "Paradis Perdu", titre qui fait écho à la chanson de Christophe. La pochette à forte connotation pop-art à la Warhol accentue un peu plus cette impression affichée et assumée. Mais parler de tradition ne signifie pas pour autant être ancré dans le passé ou réfractaire à la modernité. Dans "Paradis Perdu", cet aspect est souligné par une qualité sonore ample et contemporaine.
Écrire une chanson pop réclame d'être un équilibriste par essence pour proposer une mélodie accessible, mémorisable sans tomber dans la facilité d'écriture. Rotterdames semble avoir trouvé cette solution avec des chansons variées qui se teintent de différentes couleurs telles que le funk avec une basse dansante et une guitare à la Nile Rodgers ('Paradis Perdu'), le rock ('Oublie Moi', 'Cette Fois'). Groupe de musiciens avant tout, il sait laisser des espaces aux instruments pour s'exprimer avec de longues plages où la guitare se donne du corps au travers de solos de quelques secondes ('Bye Bye'), où la rythmique se veut mutine alors que les compositions actuelles et médiatiques semblent avoir laisser de côté ce versant.
En outre, le groupe a fait le pari de chanter en français avec des paroles parfois abstraites ('La Robe'), qui parlent d'amour et de rupture, somme toutes des thèmes assez classiques mais que l'on retrouve aussi dans les chansons anglaises. Dans ce paysage, 'Home', seul titre anglais, fait office d'exception avec son atmosphère un peu bluesy qui pourrait être un chemin vers lequel le combo pourrait s'orienter à l'avenir tant il est très réussi, notamment par l'intermédiaire de son magnifique mais court solo de gratte.
Le trio a su également s'entourer d'invités qui permettent à sa musique de prendre du relief, notamment la violoncelliste Annie le Prev qui apporte une dimension dramatique au titre 'Le Train' qui clôt l'album sur une note particulière d'une valse évoquant Lazuli (période actuelle).
Même si on peut regretter le manque d'expérimentations sonores ou constructives, "Paradis Perdu" se révèle être un bel album pop-rock, bien pensé, qui réserve quelques belles surprises, notamment le fait de laisser vivre les instruments, chose qui devient rare dans le style actuel et diffusé. L'avenir est donc prometteur pour Rotterdames pourvu qu'il ne s'enferme pas dans la routine.