Cancer est un dinosaure né dans les années quatre-vingts. Avec cinq albums, la formation a forgé ses lettres de noblesse au travers d’une musique teigneuse dans la lignée de Carcass ou Obituary. Après treize années d’absence, emmenée par ses trois membres fondateurs, elle revient avec une rondelle intitulée “Shadow Cripped” où la rage côtoie la maîtrise, où la noirceur subjugue et attire tel un orage cosmique. Accélérateur poussé à fond, radio expulsant des notes aigrelettes, Cancer navigue à cent à l’heure sur l'autoroute de la mort et projette sa hargne dans un espace où les harmonies corrompues côtoient les instruments gorgés de dissonances. S’élèvent alors les vibrations glaciales de compositions malsaines qui réaffirment les bases d’un style né il y trois décennies.
La galette est parsemée de riffs pesants, de voix caverneuses ou d’accélérations héritées du thrash ; la six-cordes y induit une expérience dissonante, alors que la pochette replonge les mémoires dans les grandes heures des visions hallucinées de Dan Seagrave irrémédiablement associé au style. Mais malgré une identité propre, le groupe s’inspire allègrement des modèles du genre...
C'est ainsi que l’ombre d'Obituary plane sur ‘Down The Steps’, où l’introduction est dans la lignée de 'Cause Of Death' : arpèges saturés et dissonances peignent un paysage macabre sur fond d’harmonies mineures et de tritons du diable. Le morceau titre rappelle aussi la formation des frères Tardy : riff et voix hyper agressive, caisse claire maltraitée, tempo rapide et urgence musicale. L’âme de Carcass s’élève sur ‘Down The Steps’ lorsque le titre flirte avec le thrash et où une guitare solitaire livre des phrases dénuées de mélodie. C’est le reflet fantomatique de Death qui transparaît derrière les fumerolles sonores de ‘Garotte’ plus nerveux et éprouvant avec un rythme rapide digne de la période “Human”, ou sur les vibrations de ‘The Infocidal’ avec un riff assez technique et un rythme rapide. La silhouette des seigneurs de Morbid Angel entre en scène sur ‘Organ Snatcher’ qui débute par un blast déstructuré alors que la suite lorgne vers le bon vieux death de Tampa (Sepultura, Cannibal Corpse). Les riffs sont rapides, la basse puissante alors que l’intervention solitaire ne laisse aucune chance à la lumière de s’épanouir.
‘Ballcutter’ fait figure d’extra-terrestre, car il est à la limite du doom : lourd, épais et pesant, presque pur et jusqu’au-boutiste avec une mise en place sans fioriture. Quant à ‘Half Man Half Beast’, il débute par une note de grandiloquence symphonique (chœurs, cuivres et percussions effrayantes) et laisse vite la puissance du rythme s'épanouir, alors qu'une ambiance glauque et oppressante se met en place. Malaise qui se poursuit, lorsque les souvenirs de Pestilence et Malevolent Creation se rejoignent sur ‘Thou Salt Kill’ : rythme rapide, riff rapide, voix agressive et aucun instant de silence pour apaiser les oreilles meurtries.
Cancer est un groupe majeur qui reste sur ses acquis avec un album où l’intensité est présente mais qui regarde trop en arrière sans être à nouveau visionnaire. La formation peine ainsi à répandre l'obscurité avec ce "popcorn death" à l'habillage effrayant mais au cœur tendre et prévisible. Cancer fait un tour d’horizon du style en piochant chez tous les groupes cités, synthétisant les multiples courants mais oubliant sa folie et le goût de la transgression sur les rivages du Styx.