Depuis “Dead or Dreaming”, Into Eternity n’a eu de cesse de défier puis de transcender un style qu’ils avaient créé, mélange de progressif, de heavy mélodique et de death furieux. Les musiciens alliant technique extrême, musique extrême, amour extrême de la mélodie et parfois thèmes extrêmes, laissent dans leur sillage un parfum mêlé d’émotion, de rage et d’énergie. La formation - dorénavant emmenée par une frontwoman (Amanda Keirnan) - a pris son temps (dix ans !) pour donner une suite au désespoir de “The Incurable Tragedy” : annoncé dès mai 2014, "Sirens" paraît plus de quatre ans plus tard, avec un line-up chamboulé, ne conservant que Tim Roth et Troy Bleich depuis l’album précédent. Il contient deux titres précédemment parus en single : 'Sandstorm' (2011) et 'Fukushima' (2012).
Into Eternity façonne des mélodies qui s’incarnent dans la puissance, la douleur et la noirceur. Ainsi ‘Fringes of Psychosis’ avec sa guitare chaleureuse, sa six-cordes acoustique diaphane ou sa voix à la limite du décrochement entonne le chant des sirènes pour charmer l’auditeur. Toute résistance est dorénavant inutile et s’évanouit lorsque l'intermède instrumental impose un pur moment de metal qui renvoie aux meilleures heures du combo : Into Eternity 1 - auditeur 0 !
La béatitude enveloppe ‘The Sirens’ qui dévoile la mélodie émouvante d’un piano intimiste. Le combo a vraiment le sens de l’à-propos en débutant cet opus par un contre-pied (pied de nez ?) délicat. Le potentiel de cette nouvelle incarnation est donc bien présent, notamment lorsque la guitare et la batterie entament une danse sensuelle brûlante. Quant à la voix d’Amanda, elle n’est pas en reste et transmet une émotion palpable et sincère. L’introduction de ‘Nowhere Near’, également pleine de beauté et de contentement à la chaleur toute relative, laisse planer une sensation âpre de peine, de colère ou de mélancolie.
La noirceur et la mélancolie sont omniprésentes, notamment sur ‘Sandstorm’ avec ses arpèges hypnotiques, sa voix puissante et son rythme martial, ou sur ‘This Frozen Hell’ qui tout en restant très sépulcral est très puissant. Les voix y dressent un mille-feuilles mélodique, jouent avec les harmonies comme au temps de “Dead Or Dreaming”. Quant à ‘Devoured by Sarcopenia’, il entonne une mélodie entraînante emplie de désespoir. Ce titre qui mélange le heavy, le death et la technique folle (sweeping impeccable) submerge l’auditeur d’une émotion cristalline rare. Le groupe met définitivement le fan à genoux : Into Eternity 2 - auditeur 0.
'Fukushima' braque un projecteur sur la catastrophe, construit une montée en puissance qui frôle les sommets d'un plaisir immédiat, loin de tout apparat. C’est finalement peut-être cela la force de la formation : une simplicité et une richesse mêlées qui paraissent tellement évidentes. Ce n’est pas ‘The Scattering of Ashes Pt2’ qui prouvera le contraire, car cette “suite”, qui repose sur une guitare acoustique dépouillée et des orchestrations riches, est un cri de douleur qui résonne indéfiniment et emporte l'auditeur une fois pour toutes : Into Eternity 3 - auditeur 0.
Construit autour de la beauté, de la tendresse et de la maîtrise instrumentale, “The Sirens” émeut et laisse sans voix car il possède les qualités d’un monument du metal. Au fil de multiples écoutes il révélera ses détails alors que la beauté de ses mélodies laissera des traces aux parfums mélancoliques. Après une longue attente, Into Eternity comble nos espoirs avec un opus où chaque seconde bouleverse et chaque instant transcende le genre, entre lumière et obscurité, entre puissance et douceur, entre papier de verre et soie. Dépouillée de toute grandiloquence ou de tout apparat, la formation vise directement le cœur et l'atteint sans détours.