Steve Hackett est un stakhanoviste de la musique : depuis son départ de Genesis, à part un petit break vers 1985-87, il ne se passe guère une année sans qu’une nouvelle parution ne vienne contenter ses fans : "At the Edge of Light" est ainsi son vingt-sixième album solo. Si la production du guitariste de la Genèse est pléthorique, elle est également assez hétérogène, tant sur le plan qualitatif que dans les styles abordés. Alors, bonne cuvée ou production moyenne ?
La réponse est mi-figue, mi-raisin : les habitués des productions de Steve ne seront pas déroutés par les morceaux présentés au cours de cet album placé sous le signe de la dualité : entre ombre et clarté, "à la frange de la lumière", comme le dit joliment le titre (souligné par une pochette superbement évocatrice). Le style est tout à fait comparable à celui qui a eu cours dans "Wolflight" ou "The Night Siren", avec une guitare se promenant de par le monde, n’hésitant pas à se mêler à des sonorités orientales (l’excellente mise en bouche 'Fallen Walls And Pedestals', 'Shadow and Flame' et son sitar original), se coulant dans un moule plus orchestral (la partie médiane de 'Those Golden Wings'), accompagnant des sections gospel ('Peace'), le tout enrobé dans des sonorités inquiétantes où les claviers, entre chords et Mellotron, jouent leur rôle habituel.
"Habituel". C’est bien le problème dans ce "At the Edge of Light", dans lequel peu de choses surprennent et où l’auditeur sent le savoir-faire de l’artiste, mais a du mal à se laisser embarquer tant les recettes sont appliquées sans surprise, presque avec routine. Pour échapper à cet enlisement, Steve empile les allers-retours, par exemple et de façon très démonstrative avec 'Underground Railroad' : commencé en guitare acoustique, le titre va vers le gospel, puis vers le folk US, puis vers le rock, puis vers le solo de guitare prog, tout ça en un peu plus de six minutes ! Ça pourrait être brillant, mais en vérité l’auditeur ne sait pas sur quel pied danser et a plutôt l’impression d’un bric-à-brac mal lisible. Cette désinvolture se retrouve dans le fait que pas mal de morceaux se terminent sur un pauvre fade-out (franchement, faire un morceau ambitieusement orchestral comme 'Those Golden Wings' et ses 11 minutes pour le terminer à la sauvette en decrescendo, Steve nous avait habitués à mieux !)…
N’allez pas croire pour autant que cet album soit mauvais : il est très pro, impeccablement produit et s’écoute facilement (trop, parfois : 'Hungry years' est tout à fait oubliable). Mais les recettes qui avaient donné un "Wolflight" de haute facture n’ont pas pris ici et n’arrivent pas à structurer des morceaux porteurs d’émotions. Restent quelques fulgurances comme le trait de sax de 'Beasts in Our Time', l’excellent sitar de 'Shadow And Flame' et les parties électriques de 'Under The Eye Of The Sun' et 'Peace', qui nous rappellent toute la sensibilité que Steve peut apporter à son instrument.