Si "Beloved" est le premier album solo de Randall Dunn, celui-ci n'est assurément pas un novice dans le monde de la musique. Cet Américain originaire du Michigan a bien des cordes à son arc : faisant ses premières gammes en tant qu'ingénieur du son, il ajoute bientôt à sa carte de visite le métier de producteur pour des artistes tels que Sunn0))), Earth, Tim Hecker, Six Organs of Admittance, Anna Von Hausswolff… œuvrant tous de près ou de loin sur une scène expérimentale et ambient. En 2003, il enrichit sa panoplie d'un costume de musicien au sein du groupe de musique expérimentale/drone/psychédélique/ambient Master Musicians of Bukkake.
Après une période de sa vie particulièrement turbulente, Randall Dunn décide de se ressourcer avec cet album méditant sur "l'anxiété, la paranoïa, différentes nuances d'amour, différentes prises de conscience de la mortalité et de comment celle-ci peut vous faire ressentir plus profondément les étapes de votre vie". Sans surprise au vu des artistes avec lesquels il travaille, "Beloved" est une collection de musiques expérimentales, ambient et drone.
Vous voilà avertis, l'album s'adresse donc à un public de connaisseurs et il est peu probable qu'il séduise un auditeur dont l'esprit et l'oreille n'ont pas été habitués à ces styles musicaux. S'appuyant essentiellement sur des synthétiseurs analogiques old school pour conserver à ses compositions un caractère organique, Randall Dunn fait également appel à quelques instruments acoustiques (clarinette, alto, violoncelle) et même à la voix humaine sur certains titres.
Et le résultat est certainement à la hauteur des espérances du compositeur, égrenant des titres dont les constantes sont le minimalisme et la lenteur, lenteur dans l'exécution mais aussi dans l'évolution de la trame musicale, mais qui réussissent souvent à générer chez l'auditeur des sentiments, certes plutôt sombres mais vifs. Si 'Lava Rock and Amber' et 'Virgo' restent difficiles d'accès par leur caractère très expérimental peuplé de bruits et de sonorités discordantes et dépourvu de mélodie voire de musique, donnant plus l'impression d'être dans une usine de métallurgie que d'écouter un disque, 'Something About That Night', tout aussi expérimental et inquiétant, dégage une beauté spectrale. 'Amphidromic Point', 'Theoria / Aleph' et 'Mexico City' éveilleront quant à eux certainement l'intérêt de tous ceux qui ont porté un intérêt à Klaus Schulze période "Blackdance"/"Mirage" par leurs sons spatiaux, leurs nappes de synthés étirées et leurs chants synthétiques désincarnés.
"Beloved" finit aussi bien qu'il avait commencé par 'A True Home', un titre presque dansant avec ses pulsations robotiques et son chant plaintif aux sonorités world évoquant aussi bien les tribus indiennes que les peuplades noires d'Afrique. Tous ceux qui attendent d'un morceau qu'il les fasse taper du pied ou chanter en chœur, ou plus simplement qu'il en émane une mélodie agréable à fredonner, passeront leur chemin. Mais les contemplatifs qui savent apprécier l'immobilisme, les silences, les atmosphères crépusculaires trouveront sans aucun doute de quoi se satisfaire dans cette musique fantomatique et inquiétante figée dans le temps.