Nul besoin de rentrer dans des explications inutiles pour affirmer que "Shadow Work" est un disque particulier qui ne s'aborde pas comme n'importe quel autre disque. Warrel Dane, disparu tragiquement le 13 décembre 2017, n'aura pas eu le temps d'achever son second album personnel mais les musiciens brésiliens qui l'ont accompagné dans sa création ont œuvré pour lui donner vie et rendre un dernier hommage au brillant chanteur de Nevermore et Sanctuary.
"Shadow Work" est un dernier cadeau aux amateurs du chant unique de Dane en même temps qu'aux orphelins de Nevermore dont l’activité a cessé en 2011 suite aux départs de Jeff Loomis et Van Williams. En effet, Warrel Dane et ses musiciens offrent une œuvre de metal d'une grande densité dans laquelle les prestations vocales polyphoniques de l’Américain sont admirables. Il est difficile de croire que tout s’est fait à la suite d’un processus inachevé tant la qualité des finitions de l’album et sa construction sont pensées, avec une introduction tribale et incantatoire qui donne une tonalité mystique et déjà surnaturelle au disque, ses développements diversifiés et son final en apothéose. Instrumentalement le groupe de Brésiliens inconnus déniché par Warrel assure incontestablement, notamment le guitariste Thiago Oliveira qui éclaire le disque de ses interventions en riffs et soli. Vocalement il a fallu travailler avec les enregistrements parfois encore non finalisés de Warrel mais le résultat est là aussi à la hauteur.
Jusqu'aux deux derniers morceaux il n'y a aucun temps mort avec un enchaînement irrésistible et dévastateur de cinq titres aux caractères bien trempés. Les hostilités débutent sur une introduction de virtuosité néoclassique pour lancer un ‘Madame Satan’ bien nommé aux ambiances infernales et au rythme dantesque. Les éléments de théâtralité qui coloreront les interprétations de Darrel tout au long du disque commencent à poindre et seront encore plus prégnants dans le diabolique 'Disconnection System' aux riffs death saccadés et hurleurs. Le disque prend une direction plus mélodique avec ‘As Fast As The Others’ et son refrain imparable de profondeur et avec "Shadow Work" sous forme de démonstration de metal moderne aux accents caverneux.
Après une surprenante reprise de The Cure, remarquable pour la capacité de Warrel Dane d'en faire une relecture toute personnelle, "Shadow Work" débute une ascension qui va emmener la fin du disque vers les sommets. Avec 'Rain' le groupe dévoile plus de sensibilité et de mélancolie dans un mid-tempo aux tonalités gothiques finement arrangé et parfaite rampe de lancement pour le magistral 'Mother Is The Word For God'. Magistrale, comme ne devait pas manquer de l’être la conclusion de ce disque spécial, cette conclusion homérique emprunte la forme d'un metal progressif à l'interface entre Finn Zierler et Opeth, orchestré et multi-facette hanté par un Warrel Dane qui donne une voix à la douleur. A l’intensité émotionnelle palpable à chaque mot prononcé par Warrel Dane répond une grande diversité de thématiques musicales parfaitement agencées par le groupe.
On n'ose imaginer le résultat si Warrel avait eu la possibilité d'achever son disque, car celui-ci ne demeure malheureusement qu'un aperçu incomplet de ce qui aurait pu être un album encore supérieur. Le regretté Warrel Dane laisse néanmoins à la postérité un disque solide et profondément marqué de son empreinte vocale, incontestablement la principale réussite de "Shadow Work". Si les arrière-mondes existent, alors Warrel Dane peut être fier de sa dernière œuvre.