Deux ans à peine après avoir étonné le microcosme rock symphonique avec le très réussi "Samsara", Rani Chatoorgoon revient avec un EP bien fourni de sept titres comprenant cinq nouvelles compositions, un radio edit et une version alternative d'un précédent morceau. Il faut dire que la chanteuse et compositrice canadienne d'origine indienne a pris le pari un peu fou de mélanger le rock et le metal avec la musique indienne (y compris traditionnelle).
Rappelons qu'en Inde la musique est quasiment sacrée. De façon coutumière, les râga (compositions classiques indiennes) sont le fondement de cette musique traditionnelle et sont extrêmement codifiés. En outre, les chants sacrés, d'ailleurs souvent féminins, accompagnés de gestes précis des bras et des mains, sont considérés comme des prières et des incantations. Au-delà de cet aspect religieux et strict, la culture indienne est grandement imprégnée de la musique qui est l'essence même du cinéma bollywoodien si singulier et vecteur d'évasion. L'Inde étant le premier producteur de films au monde, cette musique revêt un aspect cinématographique par nature.
L’œuvre de Rani Chatoorgoon est une invitation à fermer les yeux, à se laisser transporter et devenir le réalisateur de son film imaginaire. Le précédent album "Samsara" avait pour thème la vie après la mort et le fait d'atteindre l'ultime réincarnation et apportait ainsi une certaine sérénité. "Chaotic Wonder" prend légèrement son contre-pied. De chaos il sera question tout au long de ce mini album. Pour accentuer cette atmosphère, Rani a fait appel au directeur artistique et orchestral de Ayreon, Epica, Vuur, After Forever, Powerwolf, le Danois Joost Van Den Broek qui a apporté son savoir-faire dans l'élaboration de cet EP.
Ici la symbiose entre la musique rock teintée de metal et les effluves mélodiques indiennes est terriblement efficace et Rani Chatoorgoon a trouvé la bonne formule pour la maîtrise, en cela bien aidée par le talentueux Sandip Banerjee qui apporte sa science des instruments tels que sitar, satoor, tabla, dholak, thavil, sarod, sarangi, khol et bien d'autres. Ce musicien est hallucinant de dextérité. Il n'y a qu'à écouter le titre le plus progressif de l'album 'We Are The Rain' pour en faire l'expérience. L'introduction met tout de suite dans l'ambiance avec ce sitar et ces tabla rapidement et subtilement frappés accompagnés des incantations vocales de Rani qui joue aussi de l'harmonium. Quelques minutes après, la puissance du rock, avec sa batterie et ses riffs agressifs, vient tout emporter sur son passage avec toujours cette base d'exotisme qui fonde la colonne vertébrale du titre. Le refrain est épique et l'interprétation de Rani Chatoorgoon toujours juste, sans jamais trop en faire, et suffisamment intéressante pour apporter les émotions à fleur de peau.
L'un des morceaux les plus intéressants dans cette recherche de fusion est 'The Place Beyond The Veil' qui dans ses couplets penche du côté traditionnel et dans son refrain plus du côté européen. Le titre alterne les moments de calme et de puissance redoutable. Rani y parle d'esclave et de maître collant au thème du chaos, de domination et de soumission. 'Only Me' accentue ce sujet avec une énergie dévastatrice continue où les ponts musicaux donnent énormément d'espace à la musique traditionnelle et voyageuse. Rani y affirme être la reine de la destinée : si c'est peut-être le cas dans l'imaginaire, elle est, dans notre réalité, la reine pour créer des harmonies fusionnelles efficaces et prenantes. 'The Flood' finit par nous achever en s’imprégnant dans l'esprit de façon redoutable.
Ne passez pas à côté de cette petite pépite. Si "Samsara" se montrait un peu trop généreux, "Chaos Wonder" montre les progrès de Rani Chatoorgoon dans l’expérimentation sonore afin de tirer des cultures musicales de l'Est (Inde) et l'Ouest (Europe) une richesse fusionnelle à forte d'identité, épique, mélodique, intense. Elle prouve ainsi que même en musique, le métissage a souvent pour résultat le plus beau.