A 64 ans, Joe Jackson reste toujours une énigme. Pianiste émérite, propulsé petit prince de la New Wave grâce à son incontournable album de 1982 "Night And Day", Joe Jackson n'a cessé au fil des ans d'exprimer ses talents de mélomane. Tous les genres musicaux sont enregistrés, pétris, mâchés en vue d'obtenir la patte/pâte Joe Jackson. Ainsi en 2012, l'Anglais a refusé de s'enfermer dans la camisole de la reprise sur un album hommage à Duke Ellington et a fait évoluer la musique du jazzman au gré des vents. En 2019, alors que l'artiste affiche 40 années de musique à son compteur, la sortie d'un nouvel album est un secret de Polichinelle. Sur la pochette du single 'Friend Better', le pianiste se couvre l´œil avec une carte de tarot représentant le fou. Ce fou qui donne son nom à l'album est la seule carte sans numéro du jeu de tarot, comme si chanteur voulait nous dire qu'il n'est pas un numéro mais un homme libre et qu'il peut se rendre où ses vœux l'appellent (ce qui est la principale caractéristique de l'arcane dans le tarot).
"Fool" ne s´embarrasse pas d'auto-célébrations et pitreries mégalomanes. Ecouter un album de Joe Jackson, c'est comme monter dans un bolide conduit par celui-ci et accepter de se laisser surprendre en cours de route. 'Fabulously Absolute' est un petit rock contaminé par son chant énergique punk (mais ultra séducteur sur les refrains) dans lequel s'insèrent un riff de rock et un tournoyant clavier. Le titre éponyme vous fera avaler de travers : Joe le peau-rouge de la pop décoche ses flèches à tout venant : chant d'abord agressivement monstrueux puis radouci sur les refrains proches d'un air traditionnel, le morceau s'aventure dans d'autres contrées, avec des sonorités indiennes qui permettent de lancer une longue jam jazzy où piano et basse se tirent la bourre. Moins sophistiqué mais tout aussi efficace, le nouveau single, 'Friend Better' est une petite perle rock sertie sur un écrin d'orgue, accompagnée de la guitare et dotée d'un refrain d'anthologie fédérateur. Enfin, 'Big Black Cloud' avec ses pianos calibrés et redoutables en diable nous fait penser que Joe Jackson est un cousin germain (non anglais !) de William Sheller.
La voix claire et juvénile n'a pas été écorchée par les affres du temps et nous guide à travers des paysages mélancoliques nimbés de brouillard. '32 Kisses' met en valeur son timbre chaud et réconfortant. La ballade pop 'Dave' lui permet d'adopter la comptine, nursery rhyme à la façon des Beatles; sur 'Strange Land', Joe se fait magicien au piano, ponctuant la partition de touches lumineuses. Le parcours se clôt sur un très contemplatif et pastoral 'Alchemy'. Lorsque les dernières notes résonnent, le silence qui lui succède est encore de Joe Jackson.
Pour son anniversaire, Joe Jackson nous a préparé un album sur mesure dans lequel son excentricité ne connait pas la crise de la quarantaine et où son pouvoir magnétique se montre toujours redoutable. Bon anniversaire, Joe, ravi d'avoir soufflé tes bougies, mais n'attends pas 10 ans avant de produire un nouveau chef-d'œuvre !