Lors de la sortie deux ans plus tôt de son ''Bonheur En Stock'', Chris Sterpi, véritable fils du funk, nous confiait en interview avoir pour projet d'enregistrer des compositions progressives fantasmées pendant son adolescence. Malgré son passé relativement progressif au sein du groupe de reggae prog Conscience Tranquille, il était difficile de ne pas sourire gentiment en imaginant ce "Return To My Dreams" s'inscrire thématiquement dans la lignée d'un Jean-Jacques Goldman (pas celui de Thaï Phong) non dépourvu de quelques introductions soupe au lait à la Lindatar. Sterpi s'était livré - non sans mal - à une expérience alchimique transformant la variété en funk. Mais le matériau d'origine n'étant pas toujours noble pour eux, nos féroces progueux pouvaient gronder à l'avance en imaginant cet iconoclaste s'attaquer à nos belles cathédrales à coups de burin.
Pourtant, ceux-ci n'en auront pas l'occasion : en quelques mesures, Chris Sterpi fera taire les plus grincheux car ''Return To My Dreams'' n'a rien d'un exercice de style. Ce voyage de 52 minutes débute par le départ d'un monde agité peuplé de marteaux-piqueurs d'où s'extraient une guitare et un piano, avant une deuxième introduction... funky qui a pour but de planter le décor tout en faisant le pont avec le précédent album. Anecdotiques voire superflus, ces morceaux auraient tendance à faire caler l'engin en plein décollage. Préférable est la troisième et véritable introduction, 'Return To My Dreams', où Sterpi sait se jouer des tempi et met en avant son arme fatale : le jeu de guitare. Etincelants, ses lents arpèges défient l'espace et le temps comme le feraient David Gilmour, Steve Hackett ou Frank Zappa, prenant l'ascendant sans se presser avec une sensualité débordante sur laquelle la non moins sensuelle Nathalie Saprani délivre de délicieuses mélopées avec un piano nostalgique (les très contemplatif et Yessien 'In Extremis' et 'Alex's Pictures'). Au sein de ces oasis de lumière, notre cowboy dégaine sa guitare plus vite que son ombre ('Sweet Mother Strenght' sur une ambiance proche de William Sheller, ou l'emprise démoniaque de la guitare sur 'In Extremis'). Si le chant reste relativement présent, il n'est souvent là qu'à titre indicatif, comme pour servir de piste de décollage - toutefois le mode commentaire d'ambiance sur 'In Extremis' apparaît légèrement agaçant. Sterpi et sa comparse ont jeté leur dévolu sur la langue anglaise, comme pour respecter leurs influences.
L'auditeur a deux pièces de résistance à se mettre sous la dent : 'Child From Paradise', curieusement intégré en tant que bonus, tire parti des nombreuses relances de guitare dont un solo anthologique et planant; ambitieux, 'Face To Face With Dawn', lancé par l'inquiétant 'Oniric Corridors (Dream Interlude)' retrouve la quiétude des fontaines. Le chant à l'unisson est particulièrement convaincant et mélodieux. Sterpi préfère utiliser la voix de sa guitare tandis que la choriste poursuit ses mélopées (parfois ad nauseam). L'ensemble rencontre des turbulences comme les crescendos délirants initiés par le piano puis par la basse sur le final, qui savent perturber un vol assagi, toujours marqué par de lumineux arpèges.
Malgré un départ raté, ''Return To My Dreams'' nous convie à un voyage progressif avec pour guide un artiste pour qui la guitare n'a plus de secret. Certes, on arguera que cet album ne bouleverse guère notre genre de prédilection, nous aurions aimé plus de folie (comme sur 'Face To Face With Dawn') et moins de tics (le chant parasite), mais qu'un artiste soit capable de réaliser son rêve d'adolescent en délivrant une musique aboutie, savant équilibre entre ses influences et sa dextérité à la guitare, mérite les applaudissements (des deux mains).