Si certains groupes sont faciles à cerner, le style de leur musique ayant le bon goût de rentrer dans une case qu'un seul mot suffit à définir, d'autres, plus protéiformes, sont rétifs à se laisser coller une étiquette sur le dos. Que dire alors de Baba Yoga, un groupe qui nous vient d'Italie, dont la musique peut se résumer à un seul mot : indescriptible ! Un adjectif qui, vous le comprendrez aisément, est la hantise du rédacteur de chroniques qui doit relever la gageure de dépeindre au lecteur l'album sans entrer dans un laborieux piste à piste.
D'ailleurs, Baba Yoga est bien plus un projet qu'un groupe, le projet de deux hommes, Gianfranco Salvatore, musicologue, écrivain, producteur et compositeur, et Danilo Cherni, auteur, compositeur, arrangeur et claviériste œuvrant auprès de divers artistes depuis plus de trente ans. Les deux compères se sont entourés d'une pléiade d'invités, la plupart issue de la scène musicale RPI (rock progressif italien) des années 70, pour interpréter leurs compositions pour le moins originales.
Bien que la durée des douze pièces constituant cet album soit plutôt raisonnable, la plupart des morceaux avoisinant les 5/6 minutes, plusieurs ne dépassant même pas les deux minutes, les changements de styles et contre-pieds sont fréquents, entraînant l'auditeur dans un tourbillon infernal. En moins d'une heure, vous entendrez du prog, néo et old school, de la musique médiévale, du folk, du jazz, de l'electro, du space rock, du Canterbury, de la pop, de la samba, de la musique classique, de film d'épouvante ou de cirque… au son d'instruments aussi divers que le piano, le clavecin, la guitare électrique, le hautbois, le synthé, la flûte, la guitare acoustique, la mandoline, la guimbarde, le cor d'harmonie… et chantés par des chœurs religieux, un ivrogne, un crooner italien, des human beat box, des prêcheurs illuminés, des chants russes…
La force de Baba Yoga, c'est de garder l'auditeur captif et de ne jamais le perdre dans ce maelström de styles, même dans les titres les plus expérimentaux ('Flatus Vocis', 'Ciacatùn (Fai l'Amore)', 'Sette Doni', 'Scommetto'), réussissant à marier l'humour et le sérieux, à allier de façon crédible une espèce de dérision à une grande richesse mélodique, le tout s'appuyant sur des interprètes d'une grande virtuosité. Et quand le groupe se prend au sérieux, il pond des compositions au charme irrésistible ('Il Diavolone', 'Dio (Deinde in Obscuris)', 'Shangri-La', 'Le Cose Nell'aria') dont les mélodies plus conventionnelles n'en oublient pas de multiplier les nuances, les effets, les accompagnements, les arrangements, de croiser toutes sortes d'instruments et de voix.
Rarement conventionnel, pratiquant une musique expérimentale intelligente qui sait garder un certain sens de la mélodie, réussissant à dégager une ambiance captivante derrière son caractère un peu foutraque, un peu fourre-tout, "L'Uomo Progressivo" laisse admiratif (pour ne pas dire "baba" !) devant une telle imagination et une telle réalisation. On peut être allergique à l'originalité de cette musique mais pour peu qu'il ait l'esprit ouvert, l'auditeur va de surprise en surprise, d'émotion en émotion à l'écoute de ce disque étonnant.