Nous ne reviendrons pas sur le phénomène des reformations de groupes des années 80-90 disparus et ressuscités avec l’aide du label Frontiers. Mais si nous ne commenterons pas la démarche, nous ne pouvons pas passer sous silence le retour aux affaires de Tora Tora. Avec son hard rock bluesy, la formation américaine avait eu son heure de gloire, le temps de deux opus de qualité : "Surprise Attack" (1989) et surtout, l’excellent "Wild America" (1992). Le retour du quatuor du Tennessee avait déjà pris forme depuis quelques années, en particulier avec la parution de "Revolution Day" en 2011, album enregistré en 1994 mais victime de la vague grunge de l’époque. Depuis, Tora Tora avait offert quelques recueils d’inédits des sessions de ses deux premiers albums, mais rien de neuf. Qu’attendre donc du retour du combo de Memphis après 27 ans de silence discographique officiel...
Ce qui choque à l’écoute de "Bastards Of Beale", le nouveau venu, c’est une production totalement indigne de l’époque et de l’événement. Anthony Corder & Cie semblent avoir enregistré leurs nouveaux titres dans un garage, ce qui confère une certaine authenticité à l’ensemble mais laisse dubitatif devant un son écrasé qui laisse à peine entendre les soli de Keith Douglas. Seul Anthony Corder semble s’en sortir, même si le temps a légèrement voilé sa voix. Pourtant, les vétérans n’ont pas perdu le sens du refrain qui accroche (‘Sons Of Zebedee’) et proposent avec réussite quelques écarts vers le Mötley Crüe des débuts (‘Silence The Sirens’) ou vers les terres de Led Zeppelin. Sans véritablement décoller, ‘Everbright’ distille un groove typique du dirigeable, alors que la ballade ‘Lights Up The River’ se fait folk et gorgée de feeling pour ce qui est probablement le sommet de cet opus. Au rayon des réussites, nous noterons également le single ‘Son Of A Prodigal Son’ qui marie chaleur et efficacité avec des accents country-rock lui permettant d’être un des rares titres dignes de l’héritage de "Wild America".
Sans être véritablement mauvais, le reste souffre d’un cruel sentiment de linéarité renforcé par la production d’une incompréhensible faiblesse. Certains titres lancent un gros riff puissant mais tournent finalement en rond (‘Let Us Be One’), tentent d’insérer un peu de boogie sans convaincre (‘All God Things’) ou laissent deviner une belle énergie mais sans réussir à sortir du son trop cru et massif qui les étouffe (‘Rose Of Jericho’). Même le titre éponyme qui se fait pourtant rock’n’roll et enlevé finit par devenir trop répétitif sur son final. Quant à l’instrumental ‘Vertigo’, s’il surprend un peu, son intérêt reste à démontrer, même s’il met un peu en valeur la qualité du jeu de John Patterson derrière ses fûts.
Sans être un échec retentissant, "Bastards Of Beale" n’en est pas moins une déception dans sa globalité. Quelques titres réussis voire accrocheurs ne suffisent pas à faire oublier une bonne moitié d’album qui n’arrive pas à convaincre de l’intérêt de cette reformation. Comment est-il possible d’handicaper un opus avec une telle production quand on s’appelle Tora Tora et que l’on revient sous la bannière de Frontiers ? Voici une question qui reste sans réponse et il faudra que le quatuor américain propose rapidement une revanche s’il ne veut pas que son come-back reste sans suite auprès des amateurs.