Quel parcours que celui de Jonas Dufrêne depuis qu'il a commencé à apprendre à jouer de son instrument de prédilection à cinq ans ! Dès sa plus tendre enfance, à un âge où les garçons ne pensent qu'à jouer aux gendarmes et aux voleurs ou aux Pokemon, le jeune Jonas a choisi l'archer, les cordes et l’épicéa pour débuter son apprentissage du violon. Son parcours le mènera à faire partie de l'Orchestre de la Maurienne puis à son intégration à la prestigieuse MAI (Music Academy International) de Nancy (Stefan Forté, Morgan Berthet...) puis à la fameuse Berklee College of Boston (John Myung, Mike Portnoy, John Petrucci, Pat Metheny, Al Di Meola...).
Avec une telle formation et fort de ses voyages et rencontres, Jonas a ainsi acquis une ouverture d'esprit et a enrichi sa musique à la base classique avec des couleurs plus world, pop, rock et surtout jazz. Alors qu'il est destiné à intégrer des orchestres symphoniques en tant que soliste, Jonas choisi un autre destin, celui de l'urbanité, en allant se produire dans le métro parisien dont l'entreprise exploitante est connue pour laisser, dans ses couloirs, une place aux musiciens agréés pour s'exprimer et se faire connaitre (choix parfois hasardeux, mais le système a le mérite d'exister et d'apporter autre chose que des airs soufflés à la flûte de pan).
C'est ainsi que le violon de Jonas a résonné au fil des allées et venues des voyageurs qui ont pris le temps pour écouter et acheter le premier album ("Equimoze") de Jonas Dufrêne teinté de jazz. Conforté dans cette idée expérimentale, Jonas revient avec un second album "Charis" qui signifie en grec "Grâce" (de là à y voir un lien avec l'album de Jeff Buckley...). Cette grâce, Jonas est parti la chercher au Liban, ce qui explique la place des atmosphères orientales qui émaillent l'album. C'est un voyage plein de reliefs que nous offre le musicien. L'ambiance s'installe dès le premier titre, 'Ouverture' où le piano grave accueille l'auditeur et l'installe dans une certaine noirceur dont il sera extirpé par les quelques notes de violon d'abord mélancoliques pour muer vers des accords un peu slaves soutenus par un second mouvement rythmique presque electro et moins organique dont le thème principal est repris en partie dans 'Accord'. Cette introduction fait presque penser à 'Demon' de Gazpacho, friand de ce genre de passages.
Parmi les titres les plus touchants de l'album figure en tête 'Illusion' à la mélodie dramatique paradoxalement merveilleuse qui apporte bien-être, rehaussée par les voix graves qu'affectionnerait Peter Gabriel ("Up") façon Blind Boys Of Alabama. La ligne mélodique de violon plaintive, bouleversante, profonde, constitue un appel à l'introspection et au questionnement. Jonas explore son instrument en pinçant les cordes ('Charis'), en les frottant naturellement avec assurance, dextérité et presque une certaine tendresse comme si l'instrument devenait son alter ego, le prolongement mélodique de ses pensées, de ses émotions. Le jazz à la Didier Lockwood est bien présent notamment dans la très belle conclusion 'Katarnista' auquel il apporte une touche moderne et des notes virevoltantes, comme si l'esprit se libérait des contraintes.
Jonas Dufrêne avec son look de metalleux se fait le chantre d'une musique poétique, humaniste et cinématographique à la fois, suffisamment expérimentale pour attirer les amateurs du genre progressif en quête d'originalité (celle de construire un album instrumental bâti essentiellement sur le violon) et accessible par son sens aiguisé de sa mélodie, offrant quelques portes d'entrée à une musique d'apparence peu facile d'accès.