Rien
ne va plus pour Phenomena en 1993. Malgré le succès de ses deux
premiers albums, la révolution culturelle musicale inhérente à
l’approche des 90’s a fissuré le bel édifice. Le hard rock, et
notamment sa face la plus mélodique, n'engrange plus d’aussi
conséquentes recettes. Le grunge a déployé ses ailes et leur ombre
s’étend à perte de vue. Tom Galley, le concepteur du projet,
s’accroche toutefois et parvient à composer un troisième volet
pour sa saga chérie. Mais son nouveau projet de concept-album ne
convainc guère le label. A reculons il consentira néanmoins à
donner sa bénédiction tout en refusant de consacrer trop de deniers
au produit. La pochette en pâtira, insignifiante elle sera. Pour
quelle raison en effet se décarcasser pour des artworks qui ne sont
plus fièrement exposés sur les murs des disquaires ? Maudit
soit le CD.
Question
musiciens, relation de cause à effet, c’est également la
débandade. Même le frère de Galley y va de sa trahison. Il sera
accompagné dans sa fuite de Neil Murray, Glen Hughes, John Wetton et
Richard Bailey, excusez du peu. De cet all stars band il ne reste
finalement plus que le fidèle Scott Gorham (Thin Lizzy). Quant à
l’abondance de voix de l’album précédent, c'est de l’histoire
ancienne, le retour à un seul chanteur étant de mise. L'époque
est aux vaches maigres. Concernant le pedigree de ce (peu) cher
frontman… mis à part avoir poussé la chansonnette sur le
premier opus d’Airrace (1984) et le quatrième album de Mama’s
Boys (1987), ce Monsieur Keith Murrel n’est apparu sur aucun de nos
radars. Voilà qui n’a pas permis à cet "Innervision", vous l'aurez
compris, d’éblouir ses concurrents de ses atours mirifiques, même si
Brian May (Queen) a eu la gentillesse de venir y faire quelques piges
sur deux morceaux. C’est dans la difficulté qu’on reconnaît ses
amis.
Les
paramètres de l'équation ne sont guère engageants, de son résultat
n'émergera aucune surprise. "Innervision" est d'un niveau bien
inférieur à ses deux aînés bien que le style mélodique
particulier de Phenomena soit toujours de mise. La réédition
aujourd'hui de cet opus, en version remastérisée et avec une belle pochette cette fois, plus de trente
ans après, nous tend néanmoins les bras. Nous allons tenter de
séparer le bon grain de l'ivraie en essayant de déterminer si
l'album a mal vieilli ou si dès le départ le ver était dans le
fruit.
"Innervision" démarre avec un 'Rock House' qui aurait pu être interprété par
Foreigner. C'est plaisant, plutôt rythmé, mais le titre reste peu
impactant. On ne lâche pas la bande à Lou Gramm avec le 'Banzai' qui
suit, mais on frôle le ridicule avec des synthés et une mélodie
dignes de la BO d'un sous-"Top Gun". Restent les coups de griffe finaux
de la six-cordes qui font penser à ceux de Steve Stevens (Billy
Idol) achevant le 'Dirty Diana' de Jackson. 'What About Love ?' permet de
remonter la pente. Les chœurs limite gospel sur le refrain nous
usent toutefois un tantinet la santé. Mais restons conciliants, le morceau se
laisse écouter. C'est plus difficilement le cas d''Into The Fire' qui,
noyé sous des synthés d'un autre âge - même en 1993 - et une
batterie de Prisunic, nous offre une bonne partie de rigolade.
Les
six morceaux suivants nous réservent trois bons moments : les
couplets des deux ballades que sont 'A Whole Lot Of Love' et 'Rock My
Soul' - dommage que leurs refrains, une fois de plus gâchés par des
chants d'église du Mississippi, ne soient pas au diapason - et le
refrain de 'How Much Do You Love Me ?'. Quant au reste... que
dire de ce salmigondis hard rock-pop-disco ? Eh bien que c'est
insupportable à l'oreille, ni plus ni moins. La faute à des synthés
atteignant le summum du kitsch, à des refrains d'une niaiserie
profondément abyssale et à une batterie qu'aurait trouvé amateur
le lapin des piles Duracell.
Ce
troisième Phenomena fut donc un mémorable plantage. Un conseil,
concentrez-vous plutôt sur le fort bon "Road Runner" (Phenomena II)
et, surtout, sur le premier opus du combo qui avait quant à lui mis
tout le monde d'accord.