A l'exception de 'North Star' qui révélait 7 nouvelles chansons, Curved Air n'a jamais réussi à composer un album intégral depuis son grand retour. Les dernières productions étaient d'affligeantes archives que la maison de disques Cherry Red a fait émerger à la surface sans trop se préoccuper de la qualité du contenu. Lorsque paraît ce live ''The Second British Rock Meeting'', extrait d'un concert à Mannheim (même le titre induit en erreur) et troisième volume des raretés du groupe, nous sommes en droit de nous couvrir les oreilles.
Même si l'on connaît ou subodore à l'avance le genre d'objet auquel nous avons affaire, point n'est besoin d'instaurer un suspense hitchockien. Ce live ne vaut rien. Il est d'autant plus déchirant d'écrire ces formules lapidaires que notre sympathie à l'égard du groupe de Sonja Kristina est affinée. Rappelons pour les plus jeunes d'entre nous que Curved Air a toujours évolué entre psychédélisme et rock progressif, franchissant le pas sur son troisième album ''Phantasmagoria'', plongée dans une eau froide et sombre. C'était hélas également le chant du cygne alors que les principaux protagonistes se séparaient : Curved Air poursuivra mais sans jamais retrouver cette ivresse des profondeurs. Ce live est contemporain de cet album et nous étions légitimement à même de nous attendre à quelques orgasmes. Au lieu de cela, l'ennui, la honte et même la colère nous envahissent.
Le concert débute par 'No Guitar Blues', inutile échauffement dont la présence ne semble être justifiée que par les applaudissements du public (pour la petite histoire, il s'agissait de meubler alors qu'une guitare avait une défaillance). Nos malheurs commencent sur 'Everdance Cheetah Vivaldi' et 'Phantasmagoria'. Le son est étouffé, les violons sonnent comme des trompettes mexicaines à la fête du Larsen et la voix de Sonja Kristina beugle plus qu'elle ne chante, manquant de justesse sur la deuxième piste évoquée. Si celle-ci n'a jamais eu vraiment beaucoup de puissance vocale, elle compensait par des textes intimistes qui pouvaient lui permettre d'adopter un chant un peu timide, incertain, qui fait le bonheur de 'Melinda', la seule interprétation que nous pouvons sauver de ce naufrage, où seulement accompagnée de la guitare, le timbre voilé de tristesse, proche des grandes chanteuses de folk, finit par nous séduire.
Mais l'exercice de séduction a une fin. Des soli bruitistes sans aucun intérêt et servant à faire mousser leurs interprètes font leur apparition tout au long de l'album. Les deux derniers morceaux sont de longues improvisations où chacun tire la couverture vers soi sans le moindre souci d'équilibre (les belligérants finissent par tomber du lit et la couverture se déchire). Et c'est bien la colère qui prend le dessus quand 'Over And Above', qui était l'un des plus beaux carnavals de la folie en studio, se métamorphose dans cette version live en mare aux canards. Les interprètes semblent se lancer la balle sans conviction aucune. Le dernier morceau ''The Gemmersheim Jam Vivaldi'' fait exploser tous ses défauts en une jam de trente-et-une minutes et quarante-sept secondes (!) dans laquelle la virtuosité est bien remise en question. On part d'un point A pour revenir à un point A après avoir accompli des virages au ralenti.
Un seul mot : affligeant. Comment un groupe coté à l'Argus Prog peut-il permettre ce genre de sortie ? Est-ce ainsi que les groupes meurent ? Tout au plus, l'auditeur qui aura bravé notre mise en garde pourra écouter ce live comme un document d'époque sur la façon dont un groupe commence à subir les explosions internes qui auront raison de lui. Mais ce divorce valait-il un disque ?