Ils sont fous ces Roumains ! Depuis 2010, de "Very Dirt" (2000) à "Dirtylicious" (2015) en passant par "Same Shirt Different Day" (2010) et "Freak Show" (2013), le groupe Dirty Shirt s'est distingué par son mélange de couleurs œuvrant dans une obscure blancheur (ou une blanche obscurité ?). Les lourdes secousses propres au metal industriel sont ici souvent bercées par des éléments folk dans la grande tradition balkanique.
Pour leur 5ème album studio, les Roumains ne dévient que peu ou prou de leur formule. Comme son nom ne l'indique pas, le letcho est un plat traditionnel hongrois qui se rapproche de notre ratatouille. Pour confectionner la leur, les Dirty Shirt ont besoin de deux ingrédients principaux : une grande cuillère de metal et une sauce folk qui apporte beaucoup de piment à l'ensemble. En ce qui concerne le premier, l'auditeur néophyte croira entrer en terrain connu en pénétrant sur un champ de mines qui explosent sur son passage. La guitare produit des étincelles électriques ('Hora Lenta' qui invoque Dream Theater, 'Killing Spree' et son riff rageur, 'Put It On' et son introduction néo-metal), le batteur tape sans merci sur ses toms, une petite touche electro applaudit au massacre. Une voix grave d'outre-tombe, celle de Robert 'Metalistu' Ruz, s'empare du micro et malgré sa lourdeur, voltige au-dessus de nos têtes. Les growls ne sont pas de trop ('Put It On', 'Fake') dans ces tableaux sonores hallucinés.
Nous l'avons dit, les Roumains sont adeptes de métissage sonore. Tout d'abord, la voix punk orientalisante de Dan 'Rini' Craciun, assez androgyne, apporte une plus-value mystérieuse quasi-sensuelle qui se marie bien avec le chant de bûcheron transylvanien ('Nem Loptam'). Les rythmiques lourdes coexistent en harmonie avec ce folk balkanique (on pense évidemment à Goran Bregovic). 'Latcho Drom' ressemble à une caravane de l'étrange ; 'Palinca' et ses cris et chœurs festifs ressemble à un cauchemar, comme si un petit malin s'était amusé à modifier la vitesse de lecture d'une chanson traditionnelle voire à mixer deux concerts différents ; 'Fake' joue des symétries entre un couplet folklorique et un refrain explosif dans la même lignée que Diablo Swing Orchestra. Et l'auditeur n'a pas tout vu : 'Hora Lenta' et son ambiance volcanique ponctué de généreux growls est éventé par un accordéon!
Quelques morceaux tendent à nous faire décrocher des prises. Après un refrain fédérateur (je mets au défi quiconque de ne pas le beugler en harmonie), 'Killing Spree' se lance dans une improvisation. 'Nice Song' fait monter les eaux avant de trouver un peu de quiétude grâce à un piano. L'ultime morceau 'Starea Niatiei' apporte quelques touches jazz, toujours ces violons balkaniques, puis s'achève par une chorale d'enfants. On aurait toutefois aimé que le groupe étoffe un peu plus ces parenthèses. Les paroles s'articulent autour de l'anglais, du hongrois et du roumain. On regrettera toutefois la brièveté de l'album et l'absence de chanson en français (Dirty Shirt a depuis ses débuts aimé rendre hommage aux sonorités délicates de notre patrie), mais ne soyons pas chauvins.
Les Roumains de Dirty Shirt ont trouvé un équilibre entre blancheur et obscurité avec une recette de metal industriel folk vertigineusement schizophrène ! N'hésitez pas à pousser la porte de cette maison qui rend fou.