La vie de groupe est parfois cruelle. Elle est à l'image de la vie tout simplement avec ses joies, ses blessures et ses drames. Il y a un peu plus d'un an maintenant nous quittait dans de tristes circonstances Dolores O'Riordan, laissant derrière elle non seulement enfants, famille mais aussi amis dont font partie ses compagnons de route musicale. Dans le courant de l'année 2017, des compositions avaient été écrites en tournée, dont Dolorès avait enregistré les parties vocales pour ce qui devait être le futur album des Cranberries. Après le drame, que faire de cet album ? Le finir en prenant le risque d'être taxé d'opportunisme, ou bien le laisser de côté quitte peut-être à aller contre la volonté de Dolorès qui aurait voulu qu'il sorte.
Au final les autres membres du groupe, avec l'assentiment de sa famille, ont décidé d'aller au bout de la démarche artistique et d'apporter le parement musical final qui habillera la voix de Dolores. Il faut dire que les Cranberries ne pouvaient pas partir ainsi tellement le groupe représente un pan de l'histoire du rock alternatif et un des symboles d'une époque où la guerre civile en Irlande commençait à entrevoir une issue encore fragile. Le groupe n'était pas simplement le témoin de cette période trouble avec des titres tels que 'Zombie' mais il représentait artistiquement à la fois la force et la fragilité de sa chanteuse porte-étendard (on se souvient des délicats 'Ode to My Family' ou 'Linger').
Ce n'est pas la mort de Dolores qui clôt la carrière des Cranberries mais bien un nouvel album, "In The End". La pochette est toute symbolique avec le combo représenté par des enfants insouciants, candides devant un monde en ruine, une décharge publique. Faut-il garder cette part de candeur pour les artistes face à un monde qui au final n'est que destruction, haine et violence ? Il faut dire que la chanteuse n'a pas été ménagée au cours de sa vie personnelle et trouvait en la musique un moyen d'exprimer ses souffrances et de les atténuer peut-être un peu. Cet album ne va pas faire mentir cette catharsis car il apparaît comme le plus personnel, le plus charnel de la chanteuse.
Les titres comme les paroles sont presque prémonitoires, comme si cet évènement tragique avait été anticipé ('Lost', 'Wake Me Up When Is Over', 'The Pressure' et bien sûr 'In The End'). Et pourtant, comme un contre-pied à la tristesse, il débute sur un titre plutôt enjoué, 'All Over Now', qui a inondé de sa fraîcheur les ondes radio de ce début d'année. La nostalgie est prégnante dans les paroles avec les 'do you remember...' qui parcourt un refrain taillé pour la scène. Cependant, le spleen revient vite avec un 'Lost' troublant et désespéré grâce à l'interprétation qui habitait déjà Dolorès au moment des démos. Il faut saluer tout le travail effectué par les frères Hogan et Fergal Lawler pour apporter aux lignes de chant une enveloppe qui colle parfaitement à l'ambiance enregistrée par Dolorès. Il y a un profond respect et une démarche authentique comme dans l'acoustique à la beauté diaphane de 'A Place I Know', très apaisant.
Un des plus beaux titres reste 'Catch Me If You Can' dans lequel Dolorès démontre que sa voix avait un timbre tout particulier et singulier, un bijou dans un écrin de cordes à l'écriture bien pensée. Le groupe a su conserver son ADN et ne pas faire un album larmoyant et plein de pathos. Il l'a gardé comme dans les titres 'Got It' ou 'Illusion' qui auraient parfaitement pu trouver leur place dans l'album "Every Else Is Doing It, So Whay Can't We ?". Cet alternance de titres se termine sur un 'In The End' plein de sens, hélas, et le fan ne pourra peut-être pas retenir son émotion sur ce qui sera le dernier titre du dernier album des Cranberries.
Si au final, "In The End" n'est pas le meilleur album des Irlandais, il est indéniablement le plus émouvant à avoir été composé mais aussi à écouter. On ne peut que s'incliner devant tout le travail accompli par les membres restant pour offrir à leurs fans un dernier tour de piste. Surtout, par ce témoignage ils ont rendu un hommage digne à Dolorès O' Riordan avec un disque sincère, profond et arrangé comme rarement ils l'avaient fait. Merci pour tout, The Cranberries ! Le paradis a bien de la chance de pouvoir écouter la voix angélique de Dolorès, nous en sommes désormais orphelins : si loin, si proche !