Avec une régularité métronomique, S.U.P. écrit des albums marquants, des chefs-d’œuvre qui se suivent sans jamais se ressembler. Droits dans leurs bottes, les membres du groupe ont livré des pépites qui oscillent entre le gothique froid, cybernétique et glauque (“Chronophobia”, “Hegemony”) et des brûlots intenses, hargneux et macabres (“CU3E”, “Incubation”). Les musiciens enroulent leur musique dans des histoires dignes de David Lynch ou David Cronenberg, où plane le dualité entre le corps et l’esprit, entre le robotique et le charnel. “Dissymmetry” leur nouvel album efface ces frontières, ainsi que celles entre le gothique et le death.
Les contrastes sont nombreux, entre plaisir et douleur, fureur et douceur, lumière et noirceur, sensualité et férocité... comme les deux facettes d’une personnalité morcelée, comme les deux visages d’identités jumelles enfin réunies. S.U.P. joue avec un thème glauque lorsque son personnage central s’ampute le bras pour le recréer. Mais au-delà de cette thématique d’épouvante, les variations troublent par leur intensité et leur diversité. Là où “Hegemony” ou “Chronophobia” semblaient droits, le chemin de “Dissymmetry” est tortueux et percute des univers opposés : le gothique flamboyant (‘Exicison’), le lourd étouffant (‘The Chasm and Chronography’ ou ‘Sunless Rest’), la mélodie angélique (‘Cathedra’), les boucles cycliques (‘Hypgnagogic Hop’), les nappages electro (‘The Empty Chair’) ou la mélancolie des mots (‘The Day Of Final Hope’).
Spherical Unit Provided désacralise ainsi l’humain, transgresse les tabous et brutalise les esprits, non pas pour dégrader l’être, mais au contraire, tel l’exutoire mélodique, pour l’élever et l’apaiser. Les mélodies sombres sont omniprésentes, l’empilement de voix claires et grunt également. ‘Excision’ en est la matérialisation idéale, étant mélodique, malsain et intense. Le fan retrouvera aussi les forces de la formation et son univers fantasmagorique étouffant, ennobli par des ambiances aériennes (‘Tribulation’).
Supuration... pardon S.U.P. joue avec les contrastes, oppose le lourd suprême et la grâce touchante (‘Sunless Rest’). Les douces harmonies transparaissent au travers des arpèges mélancoliques lorsque l’intensité s'efface devant l'émotion. Enfin dans ce concept opaque et dur, l'opus oppose sa musique directe à quelques fines notes de synthétiseurs, sorte d’ultime pied de nez aux conventions (‘The Empty Chair’).
La rondelle gracieuse, habillée d’une lueur mortifère, est comme un poème de Baudelaire, enrobé de six-cordes tombales. Après un “Hegemony” obscur, la formation propose un album humaniste. Les musiciens qui jonglent depuis des années avec S.U.P. et Supuration semblent dorénavant vouloir les fusionner en une seule expression musicale : ici les riffs épais côtoient les rythmiques hypnotiques, les très nombreuses vocalises éraillées convoquent l’âme de Supuration. Bref “Dissymmetry” est un chef-d'œuvre qui concentre le meilleur des deux groupes : la terreur et l’émotion, l’obscurité et la limpidité, la tendresse et l'intensité.