Après vingt-cinq ans d'activisme (on date en 1995 les premières traces de Hate Forest), Roman Saenko demeure toujours aussi fertile. Trop sans doute. Entre ses différents groupes, présents ou passés, l'homme s'éparpille, se répète parfois. Il peut décevoir aussi, comme ce fut le cas, l'an dernier de "They Often See Dreams About The Spring", onzième album de Drudkh dont on n'a pas retenu grand-chose.
Peut-être le temps est-il venu pour lui de ralentir la cadence, d'espacer davantage ses nombreuses créations, afin de se ressourcer, de renouer avec l'inspiration, immense, de ses débuts, celle souvent brutale mais toujours froide et mélancolique qui irriguait "Purity" (Hate Forest) ou "Forgotten Legends" (Drudkh), œuvres inégalées qui ont fixé sa signature reconnaissable entre mille. Le voir déjà de retour avec "The Onlooker" alors qu'il vient tout juste de publier le premier signe de mort ("The Light Has Never Been Here") de Necron, énième nouveau projet qui l'associe à la fine fleur de la scène extrême ukrainienne, n'était donc pas nous rassurer. Et nonobstant un "The Great Cold Steppe" d'excellente mémoire, on ne savait pas trop quoi attendre de ce deuxième méfait de Windswept, gravé peu après l'EP "Visionaire".
Monté en 2017, le trio que Saenko anime avec la section rythmique de Drudkh, Krechet à la basse et Vlad à la batterie, lui permet d'assouvir sa soif de brutalité tranchante et viscérale, en occupant la place laissée vacante par le sabordage de Blood Of Kingu en 2016. A écouter "The Onlooker", on en vient même à se demander si ce registre d'une fielleuse froideur ne sied finalement pas davantage à Roman que le black atmosphérique de plus en plus complexe qu'il explore avec son principal port d'attache. Moins radical (à tous points de vue) qu'Hate Forest, Windswept martèle moins de quarante minutes durant cet art noir glacial typiquement ukrainien, la hampe gonflée d'une haine séculaire qui jamais ne mollit.
De fait, une fois expédié l'introductif (et inutile) 'I'm Oldness And Oblivion', c'est un blizzard qui s'abat sur nous, emportant tout dans son funèbre sillage. Propulsé par une entame longue et tourbillonnante, 'Stargazer' galope au milieu d'un paysage figé par l'hiver et la mort. Et quand, à mi-chemin, la voix rugueuse et bestiale de Saenko rugit, la forêt s'ouvre, laissant apparaître un gouffre béant dont l'abîme est sombre comme le cosmos. Son intervention est de courte durée, manière de briser une trame quasi instrumentale qui file à la vitesse d'un cheval courant à bride abattue.
'A Gift To Feel Nostalgia' est taillé dans le bois, bouillonnant dans ses artères, d'un mal venu du fond des âges même si le chant s'y révèle plus présent. Tous les titres épousent un tempo rapide, poussés par une rythmique métronomique. Grésillantes et crépusculaires, les guitares étendent une toile dont chaque fil est une note de noirceur ('Disgusting Breed Of Hagglers'), ce qui ne les exonère pas d'une beauté désolée ('Gustav Meyrink's Prague').
Certes l'opus n'invente rien, peut sembler par moments répétitif ('Times Of No Dreamers & No Poets') mais sa force brute et le magma instrumental qu'il charrie, donnant aux vocalises un caractère lointain, confèrent à "The Onlooker" une identité abrasive, vibrante d'une négativité rocailleuse. Ce faisant, l'Ukrainien accouche de son album le plus implacable - donc un des plus jouissifs - depuis longtemps !