Ringard, has been, dépassé, mégalomane, prétentieux, caractériel, colérique, tout ou presque a été dit sur Yngwie Malmsteen. Eh bien, vous savez quoi ? Yngwie s’en fiche comme de son premier jeu de cordes. Pire, il en joue avec un plaisir non dissimulé. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le clip de ‘Sun’s Up Top’s Down’, single extrait de son nouvel album "Blue Lightning" et visible en bas de cette chronique. Yngwie nous montre sa collection de guitares Fender, d’amplis Marshall et de voitures Ferrari, pendant que défilent en surimpression les paroles nullissimes de la chanson. Si ce n’est pas un doigt d’honneur adressé à ses détracteurs, ça y ressemble étrangement.
A moins que le mercantilisme ne l’emporte sur le cynisme et que la mise en avant des marques ne soit un complément de revenus pour le Suédois. Dans tous les cas, c’est affligeant. Yngwie est-il à ce point intouchable qu’aucun membre de son entourage ne soit capable de lui expliquer que les années 80 sont définitivement révolues ? Tandis que la grande majorité de ses congénères guitar heroes travaillent d’arrache-pied à moderniser leur style et leur son, Malmsteen, lui, reste enfermé dans sa tour d’ivoire et continue de vivre sur ses acquis, persuadé que le seul fait d’avoir inventé le metal néoclassique lui assure une légitimité à vie.
"Blue Lightning" n’est cependant pas un album néoclassique. Composé de huit reprises et de seulement quatre titres originaux, Yngwie le revendique comme un hommage au blues et aux guitaristes qu’il respecte. Ces derniers sont si peu nombreux que le tour de la question est vite fait. Ce sont d’abord ‘Foxey Lady’ et ‘Purple Haze’ de Jimi Hendrix qui ont l’honneur d’être massacrés par le maître. Même lorsqu’il troque sa chère gamme mineure harmonique contre la gamme pentatonique qui fait l’essence du blues, Yngwie Malmsteen ne peut pas s’empêcher d’ajouter des notes partout. En plus d’être une négation complète du style d’Hendrix, c’est une manière particulièrement efficace de tuer le groove à jamais. Le blues est une musique basée sur les hollers, ces fameuses phrases musicales en question-réponse dont les silences servent à faire vivre le tempo. Bien que grand amateur de musique classique, les silences ne font pas partie des partitions de Malmsteen qui ressemble à un orateur s’exprimant avec des mots mais rarement avec des phrases, rendant son discours totalement vide de sens. C’est plus fort que lui, Malmsteen se complaît dans sa légende d’astiqueur de manche. La reprise de ‘Forever Man’ d’Eric Clapton est à ce titre emblématique de l’absence de discernement du Suédois, capable sans aucun remord de transformer ce monument funk soul en un hard rock eighties totalement has been. Là où Yngwie passe, le groove trépasse.
Seul au monde dans son studio, le guitariste ose tout et c’est même à ça qu’on le reconnait. Il passe à la moulinette de son inconsistance des grands classiques qui n’en demandaient pas tant : ‘While My Guitar Gently Weeps’ des Beatles devient une succession ininterrompue de montées de gammes, ‘Paint It Black’ des Rolling Stones est particulièrement desservi par le chant mal assuré d’Yngwie et l’archi rebattu ‘Smoke On The Water’ de Deep Purple finit de perdre l’auditeur en route tant sa reprise ne fait plaisir qu’à Malmsteen lui-même. Quant aux titres originaux composés par Sa Seigneurie, ils brillent le plus souvent par leur absence d’originalité et leur manque d’inspiration (‘Blue Lightning’, ‘1911 Strut’).
Alors n’y a-t-il rien à retenir de ce maelström kitsch à la production datée et brouillonne ? Si, deux titres : la reprise de ‘Blue Jean Blues’ de ZZ Top pour laquelle Malmsteen respecte enfin son cahier des charges initial, preuve que quand il veut vraiment jouer du blues, il le peut sans aucun problème et le titre original ‘Peace Please’ sur lequel Yngwie fait ce qu’il sait faire le mieux depuis le début de sa carrière, à savoir mélanger comme personne une grille d’accords rock et des solos néoclassiques. Dommage que ces fulgurances soient si peu nombreuses. Elles ne sauvent certes pas l’album de son insondable médiocrité mais quelques titres supplémentaires de cette trempe nous auraient évité de tirer sur l’ambulance. Même si Malmsteen s’en contrefiche, c’est toujours désagréable.