Anima Morte, Rising Shadows ou ChansoNoir, autant de projets précieux qui ont tous en commun un même musicien, le Suédois Fredrik Klingwall, dont la créativité polychrome l'entraîne aussi bien du côté du metal progressif (Loch Vostok), du thrash (Machinery) ou du gothic doom (In Grey). Mais c'est sans doute dans le registre velouté du rock atmosphérique et néo-classique que sa sève émotionnelle et son sens aigu des arrangements hypnotiques s'expriment avec le plus de force et de réussite.
Et quand il associe ses claviers et piano à de bouleversantes mélopées féminines, l'orgasme est au bout du chemin, explosant en une myriade d'images sonores sombres et rêveuses tout ensemble, comme l'illustre "Sentience", sa dernière offrande en date. Pour l'occasion, il s'accouple avec Julia Black, chanteuse d'origine roumaine dont l'empreinte éthérée n'est pas sans rappeler celle de Linda -Li Dahlin (Rising Shadows). Klingwall affectionne particulièrement ces voix vespérales dont l'extrême féminité leur confère une douceur cotonneuse.
En plus de signer les textes de ces dix chansons aux couleurs introspectives, la belle alterne différentes langues, de l'anglais à l'italien ('Last Breath') et même le français pour un 'Memoir' caressant et charmant. A la manière d'une sirène, elle nous ensorcelle ('Night Of Introspection'), nous attirant dans ses bras pour la promesse d'un voyage plus mélancolique que romantique. Pour l'aider à donner corps et vie à ces compositions aux allures de pièces d'orfèvre, le couple a invité une palette de talentueux musiciens parmi lesquels la violoniste Hanna Ekström ou le bassiste Gustaf Hielm (Pain Of Salvation).
La somme de lignes vocales aussi intimistes qu'obsédantes et d'un canevas orchestral pulsatif et ténébreux aux confins de l'electro débouche sur un opus bercé par la grâce. Butinant une pop désincarnée ou un rock atmosphérique teinté de jazz, "Sentience" baguenaude le long d'une sente diaphane et percutante dont la tendresse ne l'exonère jamais d'une gravité crépusculaire, tapie derrière une légèreté trompeuse ('Collapse'). Chaque titre fourmille de détails comme une toile de maître dont le gigantesque (à tous points de vue) 'At The Precipice' est le témoin le plus puissant.
Sur plus de dix minutes où suinte le goût du Suédois pour les bandes originales de films horrifiques italiens, cette complainte synthétise à elle seule la teneur d'un album dont elle ferme la porte d'une façon idéale, avec une profondeur immersive et une beauté trippante. Cordes squelettiques, percussions bourgeonnantes, nappes de claviers nocturnes et voix spectrale qui chante ou murmure se chevauchent, se mélangent en une fascinante alchimie à la fois ombrageuse et vaporeuse.
"Sentience" est une œuvre superbe qui porte l'incontestable et exigeante griffe de Fredrik Klingwall, homme-orchestre aux standards de qualité toujours aussi élevés.