Les Suisses de Nostromo ont toujours multiplié les références, qu’elles soient cinématographiques, picturales ou littéraires. On se souvient ainsi que leur nom est emprunté au vaisseau spatial du "Alien" de Ridley Scott. Pour leur nouvel EP, le second depuis leur retour aux affaires après un hiatus de onze années, ils puisent le combustible d'une barbarie qui leur est coutumière dans "La nef des fous" (Das Narrenschiff), ouvrage allemand écrit au XVe siècle par Sébastien Brant qui inspira aussi bien une peinture à Jérôme Bosch que la sculpture qui en illustre la pochette.
Mais davantage qu'un thème, il faut voir dans cette source d'inspiration une propre réflexion sur ce que le groupe a vécu depuis sa résurrection, ce qui en dit à la fois long sur les épreuves et l'état d'esprit des Genevois et sur la folie qui cogne les entrailles du successeur de "Uraesus". Et que "Narrenschiff" ne franchisse même pas la barre des vingt minutes ne doit pas vous tromper. Nostromo n'a pas besoin de plus pour honorer son cahier des charges et ce faisant, nous broyer entre ses grosses pattes que son âge, désormais vénérable, n'a pas encore perclus d'arthrose. Au contraire, jamais peut-être le collectif n'a paru aussi radical dans sa noirceur dévorante, remplissant ce menu trapu d'une intensité dont dire qu'elle est volcanique tient du doux euphémisme.
De loin, l'album pourra sembler n'être qu'un crachat brutal reçu en pleine face. De près, et si l'impression de se faire défoncer les orifices demeure, la réalité se révèle plus nuancée. Alors bien sûr, ni lumière ni respiration salvatrices ne viennent à aucun moment adoucir le propos et seul le long (pour le groupe) 'Septentrion' vient briser ce fracas ininterrompu. Encore que de par ses premières mesures aux remugles malsains et le tempo rampant qu'elle abat, cette vicieuse pulsation s'inscrit totalement dans la course frénétique délivrée par un opus qu'elle fait basculer dans un abîme sans espoir de retour.
Mais derrière la folie foudroyante que ce méfait vomit grouillent de multiples détails à l'image de ces riffs cryptiques, presque tentaculaires qui lacèrent 'Das Narrensciff' notamment, ouvrant alors les vannes d'un death metal vicié cependant que 'The Drift' est perforé par des cassures endiablées. Quant à 'Taciturn' et 'Superbia', ils dégorgent tout autant cette puissance implacable prête à exploser entre des vocalises biberonnées au Destop et une instrumentation bruyante et fielleuse.
La prise de son concoctée par Johan Meyer (Gojira) et la technique affûtée de musiciens à l'unisson d'une violence atrabilaire participent à cette déflagration survoltée qui brille néanmoins de lueurs malsaines.