Alors que le dernier opus de Dream Theater vient à peine d’atterrir dans les bacs, Jordan Rudess, clavier du groupe, fait paraître son quinzième album solo ("Wired for Madness"), sous une forme plus conventionnelle que ses opus précédents, en groupe rock, convoquant pour l’occasion des grands noms : ses copains James Labrie et John Petrucci de Dream Theater, le batteur Marco Minnemann qui avait été auditionné pour le remplacement de Mike Portnoy, et Vinnie Moore, Joe Bonamassa plus Guthrie Govan comme guitaristes de luxe (le dernier ayant collaboré avec Rudess en 2014 sur "Explorations"). Que du beau monde !
Avec un tel aréopage, la qualité d’interprétation ne souffre d’aucune critique. Le maître des lieux expose ses claviers avec maestria, au point que l’album pourrait être sous titré "les claviers dans tous leurs états" : synthés futuristes, piano classique, piano jazzy ('Off The Ground’), orgue, nappes de chords, tons cuivrés ('Just Can’t Win'), tout y passe comme dans un catalogue à la présentation soignée. La parenté avec un autre grand claviériste, Keith Emerson, est souvent prégnante, rappelant 'Tarkus', 'Pirates' ou même certains travaux de The Nice… Les guitares ont droit à leurs interventions solistes (excellent passage sur la fin de 'Off the Ground') et les voix sont présentes, utilisées avec parcimonie dans les deux morceaux-titres (l’intervention féminine centrale dans la 'Pt.2' est aérienne et très bienvenue), plus en évidence dans les deux ballades à caractère plus FM ('Off the Ground' et 'Just For Today'). La batterie de Marco Minnemann, précise et aérienne ('Perpetual Shine'), est dans un équilibre idéal (bien mieux que la mécanique mise en place dans Dream Theater…).
La prééminence laissée aux claviers éclate dans les deux parties du morceau éponyme, qui aligne sans réel fil conducteur les morceaux de bravoure avec une virtuosité démonstrative, laissant toutefois l’émotion de côté - c’est le risque de ce genre de production. Même si ces pièces ne souffrent d’aucun temps mort en dehors de quelques touches atonales, même si les transitions sont habilement soignées, l’exercice n’échappe pas à la démonstration, jusque dans les titres courts comme 'Just Can’t Win', étudiés pour faire briller les solistes.
En définitive, l’auditeur reste admiratif devant la technique montrée dans "Wired For Madness", mais comme il a du mal à s’y retrouver parmi la débauche de parties virtuoses, il n’ira pas jusqu’à l’enthousiasme : il manque la sensibilité qui fait le sel des œuvres abouties…