Les splits des groupes mythiques entraînent toujours les mêmes questions chez les fans : l’esprit du groupe disparu va-t-il réapparaître dans les nouvelles contributions des membres séparés, et surtout, qui était détenteur de l’âme du groupe ? Les Beatles, est-ce que c’était Lennon ou McCartney ? Pink Floyd, Waters ou Gilmour ? Gabriel était-il indispensable à l’alchimie de Genesis ? Supertramp survivra-t-il au départ de Roger Hodgson ? Unitopia ne fait pas exception à la règle : le groupe australien a marqué de son empreinte le progressif à résonances world et symphonique en seulement trois albums originaux et sa séparation a fait l’effet d’un coup de tonnerre.
Depuis, deux entités ont vu le jour, le Southern Empire du claviériste Sean Timms et le projet United Progressive Fraternity mené par le chanteur Mark Trueack, qui a emmené avec lui la quasi-totalité de la formation unitopienne. En ce milieu d’année 2019, UPF fait paraître son deuxième album, "Planetary Overload : Loss to Lost", qui s’appuie comme le laisse penser le sous-titre sur un message écologique fort.
La tonalité de l’album reste assez dans la ligne des opus précédents, Mark Trueak et sa formation collant d’assez près à la forme d’Unitopia, avec une inflexion liée à l’arrivée du violoniste Steve Unruh (Resistor, Samurai of Prog), dont l’apport est prégnant sur de nombreuses pistes, allant jusqu’à tirer le style vers Kansas ('Mercenaries') ! Au milieu d’un line-up pléthorique (47 participants !) se remarque la présence de Steve Hackett (les soli acoustiques de 'Seeds for Life') et de son claviériste Nick Magnus. La sensibilité world est encore une fois très présente, du son de sitar dans 'Loss Anthem' ou 'Loss to Lost', à l’utilisation de l’oud et du bouzouki ; cette riche orchestration est complétée par de nombreux passages orchestraux et l’ensemble, associé à une production à la fois profonde et précise, apporte une dimension très appréciable.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’album ratisse large, parcourant une multitude de styles, de la ballade intimiste (l’entame de 'Cruel Times' ou 'What if' et 'One More', tous deux gentillets), au morceau tribal souligné de percussions ethniques ('What Are We Doing to Ourselves', rigolo mais mineur), à la pièce atmosphérique (la seconde partie de 'Forgive Me , My Son', qui hélas peine à décoller), en passant par des segments plutôt jazzy sans oublier des parties carrément symphoniques ('Cruel Times'). Cet éclectisme fait plaisir à entendre mais donne une impression un peu décousue, à l’image d’un 'Mercenaries' où l’on cherche la cohérence musicale malgré des parties habilement liées, à l’image aussi de l’épique 'Seeds For Life', beau patchwork de 19 minutes en montagnes russes, avec son extraordinaire première partie (après une intro inutile de 2:20 ressemblant à l'Albedo 0.39 de Vangelis !) qui donne le meilleur passage de l’album : on retrouve ici le souffle des compositions d’Unitopia, l’alliance des percussions inventives, la dimension symphonique et la petite touche guitare plus tendue en arrière-plan : grandiose ! 'Stop Time' constitue le titre le plus réjouissant de l’album, fourmillant de détails d’arrangements et doté d’un rythme très fun. La partie instrumentale est une lente montée atmosphérique très bien menée, plutôt angoissante, livrant une fin au cordeau.
Dans la “guerre de succession” qui l’oppose à Sean Timms, Mark Trueack a toujours un coup d’avance : il fait paraître ses albums avant ceux de son compère, et naturellement possède avec sa voix un marqueur extrêmement puissant pour les fans d’Unitopia. Avec son timbre très particulier, son aisance à passer d’un registre doux à une expression vindicative et une diction d’une incroyable précision, il dispose évidemment d’un instrument exceptionnel. Par ailleurs, l’orientation instrumentale d’UPF cherche avec soin à reproduire les couleurs unitopiennes (contrairement à Sean Timms, qui a pris avec Southern Empire une orientation plus groupe rock) : 'Mercenaries' renvoie directement au 'When I’m Down' de "The Garden" et son solo de guitare rappelle très fortement celui d' 'Angelica' du même album, les parties symphoniques et piano jazzy sont une des marques de fabrique de Sean Timms, on trouve des clins d’œil à 'Slow Down' dans 'Cruel Times', etc. Les frontières sont d’autant plus brouillées que dans une interview datant de peu avant le split, Sean et Mark disaient avec optimisme avoir du matériel pour plusieurs albums d’Unitopia à venir, matériel que nous retrouvons dans les productions des deux formations.
Mais peu importe qui est le meilleur au petit jeu de la succession : avec ce deuxième album, UPF nous fait une fois encore un beau cadeau qui comblera les amateurs d’un progressif éclectique, sans toutefois atteindre l’alchimie d’Unitopia. Comme quoi, ce qui fait la réussite des grands groupes, c’est bien cette unique complicité qui crée l’osmose.