Dans sa carrière solo, Paul Gilbert s’est essayé à de multiples styles, a écrit des chansons et des instrumentaux et a collaboré avec différents artistes avec une qualité globalement au rendez-vous. Après un excellent "Vibrato" et un moins marquant "Stone Uphill Pushing Man", qui s’avérait être un album de reprises, Gilbert est quelque peu sorti de nos radars. Ainsi, son quatorzième album "I Can Destroy", sorti au Japon, nous a échappé tout comme son successeur "Behold Electric Guitar", édité par la plateforme Pledge Music en septembre 2018. Heureusement son fidèle label de près de vingt ans Mascot Records a eu le flair de signer ce quinzième album. Et on comprend pourquoi à l’écoute de ce grand millésime signé Paul Gilbert.
La soif d’explorer conduit cette fois-ci Paul Gilbert vers l’authenticité du son et la jubilation que procure une écriture à la fois rock, jazz et blues. Le côté vrai de cet album est largement renforcé par un mode d’enregistrement brut et naturel sans aucun doublement d’instrument avec des prises de son faites en direct avec l’ensemble du groupe jouant dans le même espace. L’expertise de John Cuniberti, qui a accompagné Joe Satriani sur ses premiers albums, participe au rendu organique des sonorités et restitue l’instinct des musiciens dans les passages les plus licencieux.
"Behold Electric Guitar" est un disque à la fois écrit et improvisé avec un gisement de riffs et de thèmes mélodiques peaufinés et de larges plages de friche instrumentale durant lesquelles l’Américain et ses musiciens expriment leur liberté. Avec intelligence Paul Gilbert entrelace ces deux modalités avec une parfaite fluidité de telle sorte que chaque morceau se structure sur une thématique harmonique bien identifiée qui laisse place petit à petit à plus d’entropie pour au final revenir sur l’ordre initial. Paul Gilbert ne s’est enfermé dans aucun carcan et laisse jaillir à sa guise sa fertile créativité. Celle-ci ne déborde véritablement sur l’inclassable qu’à une seule occasion, dans le très funky ‘A Herd Of Turtles’ entrecoupé d'une narration qui crée une cassure désagréable. Hormis cette originalité c’est du très grand Paul Gilbert qui se donne pour une importante part au blues, sous sa forme shuffle supersonique à la Satch pour ‘Love Is The Saddest Thing’, en ballade apaisante et fragile avec ‘I Own A Building’, rayonnants de lumière et de groove dans ‘A Snake Just Bit My Toe’ et ‘Things Can Walk To You’ ou sous un angle plus classique avec ‘Blues For Rabbit’.
C’est surtout quand Paul Gilbert ouvre son champ d’action et qu’il parle le langage de la fusion qu’il est le plus brillant. Quelques titres tirent l’album encore plus haut dans la hiérarchie des albums instrumentaux de grande classe. Le jazz-rock aux accents funky ‘Everywhere That Mary Went’ garni de groove, de vitesse d’exécution et touchant d’émotions dans ses hauteurs finales, ou l’innovant ‘Sir, You Need To Calm Down’ basé sur de géniales superpositions de descentes d’arpèges ultra rapides et de thèmes mélodiques joyeux sont clairement des sommets de l’album. Gilbert laisse exprimer son toucher dans une pureté poignante dans la ballade beckienne ‘I Own A Building’ et ‘Let That Battery Die’ sous la forme d’une émouvante chanson dans laquelle la guitare incarnerait le chant. Dans "Behold Electric Guitar" Paul Gilbert a particulièrement soigné son approche de la guitare en diversifiant son jeu par l’utilisation importante du bottleneck (les deux morceaux précités) et des doigts (‘Every Snare Drum’).
Sans la légère baisse d’intensité de quelques morceaux dans la seconde partie de disque, "Behold Electric Guitar" aurait pu prétendre au statut d’album instrumental incontournable. Il reste toutefois un des meilleurs albums de l’Américain, dans lequel il trouve le plus juste équilibre entre mélodie et virtuosité. "Behold Electric Guitar" est probablement un de ses plus disques les plus intimistes et personnels.