L’argent, le succès, l’ego, peu importe finalement la ou les raisons qui ont précipité l’éviction de Don Felder des Eagles en 2001. L’histoire des grands groupes est jalonnée de ces sempiternelles querelles de musiciens, peu glorieuses et pathogènes. De toute façon, l’histoire ne retient que la musique. Et la musique de Don Felder restera à jamais marquée par le titre ’Hotel California’. Il en est le principal compositeur et il est l’interprète, avec Joe Walsh, d’un des solos les plus célèbres et les mieux composés de l’histoire du rock. L’Américain ne se prive pas de nous le rappeler en mettant en évidence sur la pochette de son nouvel album, "American Rock’n’Roll", sa mythique Gibson double manche (12 cordes / 6 cordes) avec laquelle il enregistra la ballade rock la plus connue de la planète. D’ailleurs cette guitare est presque plus célèbre que Felder lui-même qui, par nature et par obligation, est toujours resté dans l’ombre de Don Henley et Glenn Frey, le duo qu’il surnomme ironiquement "les Dieux" dans son autobiographie, "Heaven and Hell : My Life In The Eagles (1974-2001)".
Si Don Felder, au gré d’épiques batailles juridiques, a mis longtemps à se remettre de sa séparation d’avec les Eagles, il semble aujourd’hui apaisé. En tout cas, c’est le sentiment qui prédomine à l’écoute de "American Rock’n’Roll". A près de 72 ans, il est temps pour lui d’assumer son statut de guitariste sous-estimé. Alors autant le faire sans pression et en s’amusant. Tout le charme de l’album réside ainsi dans le plaisir évident et tout de suite perceptible que son auteur a eu à l’enregistrer. D’autant plus qu’en tant que guitariste, Don Felder sait tout faire et peut tout jouer : le classic rock old school (‘American Rock’n’Roll’), le rock fun et groovy des eighties (l’excellent ‘She Doesn’t Get It’), le blues (‘Limelight’), le flamenco (l’étonnant ‘Little Latin Lover’) et de belles ballades dont le magnifique ‘Falling In Love’ composé dans la plus pure tradition des Eagles de la grande époque et doté d’un solo à la mélodie soyeuse dont l’Américain a le secret.
Prenant soin d’éviter toute nostalgie, Don Felder a invité sur son terrain de jeu de nombreuses pointures de la scène rock américaine. Leur apport est précieux pour insuffler à l’album la spontanéité et la fraîcheur qui en caractérisent l’esprit. Citons notamment les interventions remarquables de Slash sur ‘American Rock’n’Roll’, d’Alex Lifeson sur ‘Charmed’, de Joe Satriani sur ‘Rock You’ et du couple Orianthi / Richie Sambora sur ‘Limelight’. En revanche, il est fort dommage que la fin de l’album soit plombée par la succession de trois ballades qui nuisent à sa cohérence et cassent littéralement l’ambiance, en particulier le mielleux ‘The Way Things Have To Be’ qui frise la faute de goût.
"American Rock’n’Roll" n’est ni génial ni incontournable. Mais c’est un album sincère et attachant. C’est déjà beaucoup et ça suffit amplement pour le recommander chaleureusement. N’ayant rien à prouver, Don Felder s’offre une cure de jouvence et trouve la bonne formule pour vivre sa musique au présent sans ressasser son passé glorieux. C’est sans doute cela qu’on appelle la sagesse.