De l'art noir québécois, nous connaissons surtout les offrandes exposées par les précieux labels Sepulchral Productions et les Productions Hérétiques, celles des figures tutélaires Forteresse, Monarque et consorts, porte-étendards d'un black noir, souvent patriotique, toujours glacial et mélancolique. A leurs côtés, les jeunes pousses sont néanmoins là, déjà prometteuses, cultivant cet héritage et cette mémoire enracinés dans la terre froide canadienne.
Nachteule appartient à celles-ci, entité d'une seule âme, le sieur Noctis (Adrien Blosse pour l'état civil) qui, depuis deux ans, multiplie les projets, généralement en solitaire (Alkymist), plus rarement avec un autre être humain (Calvaire). Ce caractère autarcique commande une approche du genre dépressive et atmosphérique qui, si elle ne surprend pas (plus), débouche pourtant sur un pur joyau comme sculpté dans des congères brumeuses.
Deuxième opus de Nachteule, "Bergdorf" témoigne chez son auteur d'un incontestable talent pour matérialiser des paysages à la fois désolés et majestueux, sévères et envoûtants. Son écoute nous entraîne à travers le blizzard à l'intérieur duquel se nichent des chaumières figées par la rigueur de l'hiver, où vivent des hommes mus par une culture ancestrale. L'album a quelque chose d'une plongée dans les profondeurs d'une géographie physique et humaine hors du temps, parfaitement illustrée par un artwork superbe, entre symbolisme et réalité.
Noctis forge des compositions épiques et torrentielles où la beauté d'émotions désespérées rivalise avec le tranchant d'une noirceur affûtée. Galopant durant presque dix minutes, 'Autour du Foyer Rouge' distille cette identité qui puise autant dans le feu que dans la glace, bouillonnant d'une sève crépusculaire. Tandis que le chant crache une poésie abrasive, la guitare creuse des reliefs vastes et meurtris en un défilé minéral que nimbent des nappes de claviers neigeuses.
Plus trapu, 'A Grand Pas' imprime un tempo implacable qui vient cependant se briser contre des tertres remplis de tristesse. Introduit par des arpèges boisés et squelettiques, 'Les Yeux de la Forêt' dresse haut une turgescence noire qui explose en un feu d'artifice de fureur et de majesté. Son format étiré permet au Québécois de tisser sa toile autour d'un gouffre dont il tricote les bords avec une force tourbillonnante. Pulsative et hypnotique, cette plainte offre un véritable périple aux confins d'un monde païen. Au bout du chemin, le titre éponyme referme les portes de cette chapelle hivernale en faisant souffler le vent du grand nord durant plus de dix minutes dont seules quelques notes comme échappées d'un Mellotron hanté viennent en stopper le déchaînement torrentueux.
Entre atmosphères gelées et obscurité dépressive, "Bergdorf" s'impose comme l'un des plus fascinants albums offerts par le metal noir québécois.