Initié par le chanteur guitariste Jonathan Lino, Spheres est une formation qui va se consolider en 2018 avec l’apport du bassiste Lek, du second guitariste Camille Lafontaine et du batteur hollandais Tom Pluijmaekers. Son premier album s’intitule "Iono".
Les influences mentionnées par Spheres ont toutes la particularité d’être de magistrales références du death et du metal progressif souvent citées par les groupes actuels. Des traces d’Opeth, Mastodon, Gojira et Tool existent dans "Iono" mais de manière assez parcellaire, tout juste pouvons-nous citer quelques réminiscences rythmiques tooliennes dans ‘Cimmerian Ghost’ et ‘Television Nation’. C’est à évoquer, surtout dans le cadre d’un premier album, Spheres ne souffre pas du complexe d’identification qui peut rapidement s’avérer problématique.
L’écriture de Spheres demeure viscéralement metal tant dans la musique que les thèmes abordés qui ont trait à la nature humaine et à la critique de la société et de la technique. A l’étroit dans les carcans, les Parisiens font leur la définition intrinsèque du metal progressif, celle qui donne la liberté artistique d’explorer en se gardant bien de tomber dans certains de ses excès de virtuosité stérile. Leur metal navigue aussi aisément dans les torrents agités du death, les courants glacés du thrash cybernétique à la Voivod (‘Mars’) que les eaux fangeuses du black en cohérence avec les textes et les humeurs que le groupe souhaite instiller.
Si cette lourdeur coutumière des amateurs de death et black metal pourrait s’avérer usante pour un public plus progressif, Spheres répond avec sa capacité toute alternative à aller à l’essentiel (le direct au refrain fédérateur ‘Break Loose’), à déployer des ambiances étranges et fantastiques (‘Cimmerian Ghost’) et mise à de multiples occasions sur l’apport salvateur du groove pour aérer ses parties les plus ténébreuses (‘Stellar’). "Iono" n’en reste pas moins un album dense dont l’épaisse écorce ne commencera à céder qu’après de multiples tentatives.
Pour donner une âme à ce metal polymorphe, le chant se doit d’être varié et l’organe de Jonathan Lino impressionne par sa capacité à changer de registre. C’est sûrement le secteur le plus clivant de la musique de Spheres car cette pluralité dans les chants, que Jonathan pousse jusqu’au seuil de la théâtralité (‘Sound City’), ajoute un supplément de complexité à l’ensemble parfois au détriment de la nuance particulièrement appréciable dans ce type d’œuvre. Mais par ses excès de puissance et de colère (‘The Thing‘), elle participe de la densité globale de l’opus et rend encore plus immersive l’écoute de "Iono". On peut regretter que l’agrément de chœurs n’ait pas été plus utilisé, d’autant qu’ils apportent une vraie valeur ajoutée dans les passages où ils sont employés (‘Sound City’).
On retrouve souvent les mêmes défauts dans les premiers albums : une volonté d’en mettre trop et une difficulté à se détacher de ses influences. Sur ces deux points, les Français affichent déjà une maturité insolente en démontrant une indéniable personnalité et en inscrivant leur metal progressif dans des limites raisonnables. Si tout n’est pas parfait dans ce premier disque, la qualité globale est clairement là et les ajustements pour franchir un échelon supplémentaire semblent largement accessibles. On suivra donc avec attention l’épanouissement de cette formation au fort potentiel.