Notre dernière rencontre avec Shaârghot avait manqué de peu de nous faire avaler la poussière avec son EP "Break Your Body", aussi subtil qu'un coup de batte de baseball sur un crâne dégarni. Moins d'un an plus tard, nous nous retrouvons à nouveau propulsés dans les entrailles purulentes de la cité-ruche en compagnie de cet ange du chaos adepte d'un son metallo-industriel mâtiné d'electro et au caractère férocement dansant.
Trois coups de boutoir ouvrent "The Advent Of Shadows", pour une représentation de théâtre dans laquelle l'auditeur aurait été invité à participer à l'insu de son plein gré. La partition est déjà écrite d'avance comme le prouve l'anxiogène 'Miss Me ?' qui possède une solennité glauque tout en plongeant dans les ténèbres. 'Black Wave' avec son rythme de tsunami, son clavier extatique et ses cris de jouissance engloutit les derniers espoirs.
Ce nouvel album n'est pas qu'une version longue de l'EP, même si quatre titres rescapés s'insèrent harmonieusement dans ce puzzle de l'horreur, dont le subtil 'Break Your Body' qui ferait danser un mort-vivant et le glas de 'Doom's Day'. Non seulement la musique de Shaârghot est addictive, mais elle est farouchement imprévisible. La mécanique a été huilée avec une précision de dément, faisant passer d'un morceau à un autre comme pour un parcours présentant différentes salles (de torture). 'Now Die' pousse les guitares à fond avec son rythme martial. Se propulsant à la façon d'une anguille, le morceau provoque plusieurs courts-circuits qui sont comme de légères pauses rythmiques visant à l'instar de 'Break Your Body' ou du court instrumental 'Into The Deep' à nous offrir quelques instants de répit avant de nous plonger à nouveau la tête dans une eau noire.
Avec une précision chirurgicale, Etienne Bianchi adopte chant hurlé et chant plus clair, illustrant vocalement la schizophrénie de son personnage principal : l'interprète n'hésite pas à plonger au plus profond de l'esprit tourmenté de sa créature. Ce parti-pris l'oblige à se lancer quelques défis qu'il reprend avec brio comme lorsqu'il se prend à vouloir se lancer à la poursuite de l'ombre de Jaz Coleman ('KMB') ou de Marilyn Manson ('Z//B'). 'Shadows' termine l'album sur une note épique qui s'il révèle l'étendue de cette ode à l'Apocalypse ne conclut qu'avec un point virgule.
L'expérimentation est de mise et s'avère vertigineuse. 'Wake Up' est le dernier-né d'un laboratoire de l'horreur avec ses rythmiques rock and roll et metal electro. Quelques goulées d'air pourront être aspirées sur 'Bang Bang' avec ses couplets légèrement mélancoliques, mais les refrains revêtent un caractère bien plus assassin. Intégralement instrumental, 'Regrets' fait tomber sur les têtes un ciel “lourd comme un couvercle“ illustrant le caractère diablement cinématographique de l'opus (comme 'Rage' en atteste). On pourrait arguer que les musiciens manquent de subtilité avec un personnage qui ne se contente que de coups de batte pour s'exprimer et de toiles sonores intégralement noires. A travers la figure de son punisseur représenté graphiquement comme dans un comic, Etienne Bianchi ouvre cependant une réflexion : les éléments de science-fiction, les différentes castes de personnages révèlent un visage noirâtre du monde que nous croyions si bien connaître.
Culminant à un peu moins d'une heure, "The Advent Of Darkness" est un passionnant voyage dans l'envers de notre monde. Fidèle à un son metal industriel saupoudré de touches electro avec un potentiel hypnotique et dansant, Shaârgoth se révèle tout aussi passionnant dans son concept et son packaging qui, s'il laisse la part belle à la violence et la fureur (mais très peu au sexe en vérité), invite à la réflexion. Ne tergiversez pas longtemps avant d'ouvrir la porte des ténèbres, vous n'en reviendrez pas indemne, mais comme les Shadows, l'auditeur saura se régénérer pour écouter jusqu'à ce que folie s'ensuive l'un des plus passionnants opus dans son genre.