Depuis 2012, les Poitevins de Lemon Furia (né sur les vestiges de Spinach Power) nous offrent un cocktail acidulé rock-ska-chanson française. Mais les citrons ne sont pas si pressés que cela. Après ''Fais l'Plein'' en 2015, le septuor savoure quatre années sur scène avant d'enregistrer son second album dont le titre est pour le moins mystérieux, ''Le Lavoir Des Consciences''. Peut-on parler de choses sérieuses sur des airs légers ?
''Le Lavoir Des Consciences'', Poitou oblige, est un Futuroscope sonore. Poussées les portes de ce lavoir, l'énergie dynamique des musiciens se fait terriblement communicative. Les rythmiques ska se font alertes et les cuivres semblent s'envoler au-dessus de nos têtes. Malgré l'aspect purement répétitif de ceux-ci, nos pieds risquent de faire sécession de notre corps afin de battre rageusement la mesure. Le groupe aime bouleverser la donne sur les refrains qui explosent avec furie ('L'Araignée'). Les refrains de 'Y'a Pas Le Temps' et de 'Noche Vivo' nous montrent un chanteur capable d'interpréter des paroles dans un autre idiome. Ce deuxième titre cité pourrait rappeler sans aucun doute Ska-P. Généreux, Lemon Furia offre quelquefois des atmosphères plus intimistes. 'Faubourg Du Pont Neuf' joue la carte mélancolique et lancinante avec comme cerise sur le gâteau un solo de saxophone de haute voltige. Quelques touches de violon apportent un peu de spleen ('Mischkina', 'L'Echo Des Pavés').
A l'image de la pochette, qui représente un manifestant distrait qui aurait confondu un pavé avec un agrume, Lemon Furia a souhaité faire un état des lieux d'une époque en crise ('Le Lavoir Des Consciences', 'L'Echo Des Pavés') sans pour autant se montrer trop sentencieux. Plutôt que de se murer dans un idéal révolutionnaire de pacotille, le groupe prône l'écoute et l'entente mutuelle. 'Grève Générale', l'un des textes qui nous rappellerait le plus la France actuelle, piège l'auditeur : les paroles ont été écrites par Charles Keller en 1906 ! A l'inverse, d'autres textes pourraient se ranger dans le coffre de la chanson française, se remarquant par leur qualité d'écriture (Tony Zara, le guitariste est l'auteur quasi exclusif). En multipliant avec parcimonie les clichés russes, 'Mischkina' évoque une vamp rouge qui semble prendre un malin plaisir à voir se noyer notre protagoniste dans son verre (version adulte de Soviet Supreme ?). 'Araignée' et son texte surréaliste et son refrain rock imparable sont accompagnés d'un clip qui rappelle leur voisin nantais Elmer Food Beat.
Malheureusement passés quelques titres, l'auditeur peut avoir l'impression d'écouter en boucle la même piste. Certaines de celles-ci (comme 'Juste Pour L'Exemple' malgré sa belle accroche) se révéleront anecdotiques alors que placées en première ligne, elles auraient pu nous séduire. L'apport des cuivres, très répétitifs, ne séduit pas sur la durée et s'avère particulièrement envahissant. L'introduction féerique et inquiétante de 'La Part Des Anges' est atrocement foulée aux pieds par l'orchestre dynamique alors que l'osmose pointait le bout de son nez. Le groupe se permet même le luxe de retomber à pieds joints dans le trivial : les rappeurs de Masters de l'Univers se sont invités sur la dernière piste 'One Shot'. Certes, la chanson évoque non sans légèreté une rencontre entre deux mondes injustement cloisonnés, mais l'écoute du résultat qui évoquera Masta Kill laisse largement dubitatif...
Lemon Furia a trouvé une recette rafraîchissante : des orchestrations ska dynamiques et sautillantes, des paroles bien écrites et bien interprétées, quelques sursauts énergiques communicatifs en particulier sur les refrains. Mais comme le prouvent quelques timides incartades vers d'autres horizons, le groupe aurait gagné à modérer son enthousiasme. Cette fausse note à l'écoute n'aura aucun effet sur la musique du groupe en concert, une musique qui se savoure en se trémoussant.