Tous ceux qui ont suivi de pas trop loin la carrière d'Isildurs Bane savent que les Suédois n'aiment guère les parcours linéaires, appartenant à cette catégorie d'artistes (trop rares) qui aiment surprendre leur public. Quant à Peter Hammill, faut-il encore présenter cet Anglais aussi prolifique que polymorphe, ayant réussi le grand écart entre le rock progressif (notamment au sein de Van der Graaf Generator) et le punk ("Nadir's Big Chance", disque de chevet de Johnny Rotten (Sex Pistols) !) et dont la discographie peut s'enorgueillir de nombreux albums inclassables ?
Aussi, voir associés sur la même pochette les noms de ces artistes aussi talentueux qu'imprévisibles exerce automatiquement un attrait irrésistible sur les amateurs de musiques étranges et surprenantes. Une association née de la participation de Peter Hammill à l'IB Expo2017, un événement organisé annuellement par Isildurs Bane qui y invite des artistes ne mettant pas de limites à leur créativité. Pour les Suédois, il ne s'agit pas d'une première, ayant déjà collaboré avec Steve Hogarth en 2017 sur "Colours Not Found in Nature". Une expérience qui m'avait laissé dubitatif tant la prestation du chanteur de Marillion m'avait semblé peu en adéquation avec l'univers symphonique d'Isildurs Bane.
Cette fois, la rencontre paraît plus naturelle et presque inévitable entre des interprètes dont le leitmotiv a toujours été l'originalité. Et le résultat est, sans surprise… original. Si les premières écoutes laissent l'impression qu'il s'agit d'un nouvel album de Peter Hammill, laissant les fans d'Isildurs Bane sur leur faim (il est vrai que la voix d'Hammill est un marqueur fort), les suivantes permettent de dissiper cette sensation. Au chant toujours aussi impressionnant et caractéristique de l'Anglais se mêlent les multiples instruments d'Isildurs Bane dont les partitions sont loin d'être celles d'un simple accompagnement.
Les compositions de Mats Johansson semblent inspirées de l'univers hammillien. On retrouve ces ambiances sombres, ces aspects expérimentaux et déstructurés, ces mélodies fuyantes et inchantables propres aux albums solos d'Hammill. 'Before You Know' qui ouvre l'album n'aurait pas déparé sur "Fireships", par exemple. Mais l'orchestration est plus ouverte, les instruments font de nombreuses apparitions, souvent fantomatiques, parfois discordantes, toujours inspirées : koto, marimba, trompette, saxophone… donnent tour à tour la réplique au chant.
Les titres alternent passages atmosphériques, notes sporadiques et rythmes tribaux lancés par des percussions très présentes et inventives. Si les amateurs de mélodies carrées seront vite perdus (pouvant à la rigueur jeter une oreille sur le beau thème limpide de 'The Day Is Done', seul titre ressemblant à une chanson), ceux qui recherchent avant tout le dépaysement seront ravis : l'album offre une complexité aussi touffue que la jungle amazonienne dont il tire son titre mais, après quelques écoutes qui le désorienteront, l'auditeur verra sa persévérance récompensée par un album d'une grande richesse.
En associant leurs talents, Isildurs Bane et Peter Hammill ont réussi à sortir un album qui séduira aussi aisément les amateurs du groupe suédois que ceux du chanteur anglais. "In Amazonia" fait partie de ces disques qui réservent à chaque nouvelle écoute son lot de surprises, lui assurant une longévité bien supérieure à la moyenne.