Tout, ou presque, a déjà été écrit sur Neal Morse, le pire comme le meilleur, de son incroyable capacité à composer des mélodies plus séduisantes les unes que les autres à son talent incontestable d'interprète, à la fois chanteur charismatique et multi-instrumentiste doué, mais aussi de sa foi envahissante dont il fait la trame de tous ses albums à un style reconnaissable entre mille qui finit parfois par donner une impression de déjà-entendu à toutes ses productions. Avec au final une balance penchant fortement du côté des qualités, les défauts tenant du péché véniel. On croyait avoir tout écrit sur Neal Morse… jusqu'à ce nouvel album, double comme il se doit, "Jesus Christ The Exorcist".
Bon, rien qu'au titre, on sait déjà que ce n'est pas encore cette fois-ci que l'Américain renoncera à nous faire partager sa foi en musique : "Jesus Christ The Exorcist" est un opéra rock retraçant la vie de Jésus, de son baptême par Jean le Baptiste à sa résurrection, et on se demande même comment Neal Morse n'y avait pas pensé plus tôt. Non, la surprise vient de la partition, Neal Morse ressuscitant (c'est le mot) les opéras rock des années 70, de "Jesus Christ Superstar" qui partage la même thématique à "Tommy" des Who (qui est aussi l'histoire d'un messie !).
Pour ce faire, il s'entoure d'un effectif pléthorique : outre le groupe de musiciens où se retrouve une partie du Neal Morse Band (Eric Gillette se substituant derrière les fûts à Mike Portnoy qui n'est pas de l'aventure), se côtoient deux ensembles de cuivres et de cordes, de nombreux choristes et une douzaine de chanteurs. Le rôle-titre est tenu par Ted Leonard (Enchant, Spock's Beard), celui de Judas par Nick D'Virgilio (Spock's Beard, Big Big Train) et ceux de Pierre et de Caïphe par le seul Jake Livgren (Proto-Kaw) dans un étonnant numéro de dédoublement. Moins connus, Rick Florian, chanteur du groupe de rock chrétien White Heart, est un Satan des plus convaincants et Talon David, jeune chanteuse interprétant le rôle de Marie-Madeleine, est l'une des révélations de cet album, sa voix tour à tour mordante et sensuelle, rauque et aérienne, ne pouvant vous laisser indifférents. Neal Morse chante des rôles secondaires, s'illustrant notamment dans un étonnant Ponce Pilate où il est méconnaissable.
Les titres sont regroupés en chapitres en fonction de l'histoire. Si les chapitres sont séparés entre eux d'une courte interruption, les morceaux d'un même chapitre sont enchaînés à tel point qu'il est bien difficile de savoir quand on passe de l'un à l'autre sans avoir le livret sous les yeux. Comme dans tout opéra rock qui se respecte, les chansons sont au service de la narration et leur intensité/violence/douceur est directement liée à ce que l'histoire raconte. La musique ne sert cependant pas de faire-valoir, la preuve : les très beaux et spectaculaires solos de guitare et de claviers qui émaillent notamment le premier CD.
Car le ton change sensiblement entre le premier et le deuxième disques. Si l'Acte 1 est plutôt énergique, oscillant entre hard rock, heavy metal et metal mélodique, l'Acte 2 tient plus de la "comédie musicale" façon Broadway avec moins de solos (5 titres chantés "seul" pour le CD1, un seul sur le CD2), plus de partitions chorales et une tonalité plus douce, voire mélancolique, et parfois hymnique. La batterie déchaînée et les saillies de guitares électriques de la première partie laissent place aux claviers, cordes et cuivres nappant les compositions d'une teinte orchestrale. Difficile de faire ressortir un titre plus qu'un autre : "Jesus Christ The Exorcist" raconte une histoire et doit s'écouter comme un tout indissociable.
Avec son opéra rock, Neal Morse réalise un double miracle. D'abord, il tient l'auditeur en haleine durant les 110 minutes que dure l'album sans que jamais l'attention ne faiblisse, ensuite il réussit à faire oublier qu'il est derrière cet album sans perdre pour autant ses extraordinaires qualités de compositeur. Certes, on le reconnait parfois au détour d'une envolée (l'intro de 'Jesus' Temptation' rappelant les joutes enlevées de "?", un nouveau pastiche de 'Knots' (Gentle Giant) avec les voix des quatre démons qui s'entremêlent sur 'The Madman of the Gadarenes', la ballade folk acoustique 'Love Has Called My Name' ressemblant beaucoup à celles de "Testimony"). Mais il s'agit là d'exceptions noyées dans un maelström mêlant rock épique, metal prog, folk, douce ballade, hard rock, comédie musicale, pop, heavy metal, gospel, rock solaire ou hymnique.
En remettant au goût du jour les opéras rock des années 70, Neal Morse réalise un album exceptionnel et passionnant de bout en bout. Non seulement mon coup de cœur de l'année, mais probablement de la décennie, voire du siècle !