Il aura fallu quarante ans à Christian Vander pour se décider à achever et enregistrer "Zëss – Le Jour Du Néant". Difficile de lui en vouloir, l’être a forcément peur du néant. Et même après cinquante ans de carrière, la crainte que "Zëss" puisse être considéré comme le testament musical de Magma semblait hanter son leader. Composé à la fin des années soixante-dix, ce titre avait pourtant été joué par le groupe à plusieurs reprises dès le début des années quatre-vingts et figure sur le DVD "Mythes Et Légendes : Epok IV" paru en 2008. Il manquait cependant une partie du texte et un véritable final. C’est chose faite avec la version définitive de cette œuvre monumentale enfin enregistrée en studio.
Et quelle version !
"Zëss – Le Jour Du Néant" est exceptionnel à plus d’un titre. D’abord parce que c’est l’un des rares titres de Magma où Christian Vander ne joue pas de batterie pour se consacrer exclusivement au chant. C’est l’immense Morgan Agren (Kaipa, Franck Zappa, Devin Townsend) qui a ici la lourde tâche d’interpréter les rythmiques composées par l’inventeur du zeuhl, démontrant ainsi toute l’étendue de son talent. Ensuite parce que l’album a été enregistré avec l’orchestre philharmonique de Prague, une première dans la longue histoire du groupe et une véritable idée de génie. En effet l’apport de la musique classique, et notamment de Stravinsky, dans l’œuvre de Magma prend ici tout son sens, révélant une véritable pièce symphonique de 38 minutes composée en sept mouvements et à écouter impérativement d’une seule traite.
Dès l’ouverture très symphonique (‘Hymne Au Néant’), l’auditeur est happé par les chœurs dirigés par Stella Vander qui instaurent une ambiance séraphique et inquiétante. Puis la narration du Maître (Zëss en kobaïen) commence, soutenue par un ostinato de batterie, de basse et de piano. Pour Vander, le rythme engendre la mélodie et ici, le rythme est imposé par les quelques accords de piano répétés ad libitum tandis que la batterie semble hors du temps, au propre comme au figuré. Tout le génie de Magma est concentré dans cette structure répétitive qui semble stagnante et qui est pourtant toujours en mouvement.
"Aujourd’hui est le jour où nous allons mourir et je te dis merci", déclame Christian Vander dans un poème de fin du monde, d’abord en français (‘Les Forces De L’Univers – Les Eléments’) puis en kobaïen (‘La Voix Qui Parle’) et ensuite en scat, avant de laisser place aux cordes et à un magnifique thème mélodique (‘Pont De L’En-Delà). Le néant pour Magma est symbolisé par la mort du langage et "Zëss" illustre cette perte des mots et du sens par une lente déstructuration du texte, le réduisant progressivement à quelques mots puis à un unique ‘Sanctus’ scandé par des chœurs apocalyptiques (‘Vers l’Infiniment’) et finalement à des onomatopées (notamment les fameux "Om", symboles de l’absolu dans l’hindouisme).
Œuvre magistrale par la qualité de sa composition, sa puissance émotionnelle et sa portée existentielle, "Zess" est le cadeau que tous les fans de Magma espéraient depuis longtemps. Mais puisse cette modeste chronique s’adresser à tous les autres, à tous ceux qui ne savent pas vraiment par quel bout prendre cette musique considérée à tort comme élitiste et intello, alors qu’elle est d’abord et avant tout sensuelle et instinctive. Faites abstraction, l’espace de 38 minutes, de vos influences et de vos codes musicaux, de vos réticences, de vos craintes de ne pas comprendre. Il n’y a rien à comprendre, seulement à ressentir cette musique hors des normes, à lâcher prise et à se laisser guider vers les cieux.