Voilà maintenant près de dix ans que Opeth a opéré un virage artistique radical en délaissant le death au profit d'un progressif inspiré des seventies. Il en est pourtant encore certains qui pestent contre cette nouvelle orientation au lieu de s'en réjouir, d'aller voir ailleurs ou de se replonger dans la riche discographie passée du combo suédois.
Mais depuis "Sorceress" paru en 2016, les railleries ne viennent pas que des nostalgiques, et la cohérence des sorties du groupe interroge. Autant dire que le cru 2019 d'Opeth est attendu avec intérêt pour voir si la bande de Mikael Akerfeld est capable de se renouveler et enchanter à nouveau les fans.
Le premier contact avec l'objet se fait via un artwork familier, une nouvelle fois signé Travis Smith, qui ressemble beaucoup aux précédents albums, même si celui-ci a un aspect plus sombre et intrigant avec ce démon qui menace dangereusement des membres du groupe. Quant à l'album en lui-même, il contient deux versions. Une suédoise créée en premier et une anglaise destinée à ceux qui n'apprécieraient pas le chant en suédois. Les puristes préféreront la première mais il faut reconnaître que la seconde n'a pas à démériter même si le chant de Mikael Akerfeld y est un peu moins habité. Elle sera toutefois plus abordable, mais l'originale pare l'ensemble d'une belle authenticité.
Les premières mesures de 'Svekets Prins' ('Dignity') font apparaître un son maintenant familier et caractéristique du combo qui mêle habilement guitares acoustiques et électriques au sein d'un riff énergique. Le chant (clair, bien sûr) survient lors d'une brutale rupture rythmique rappelant les glorieuses heures de gloire du groupe dans sa période death. Cette constante dans les variations de tempos va revenir régulièrement dans l'album, tout comme l'enchaînement de mélodies diverses au sein même des morceaux ('Ingen Sanning Är Allas' ('Universal Truth') ou 'Svekets Prins' ('Dignity'). Dès le morceau inaugural (si l'on excepte l'introductif 'Livets Trädgård' ('Garden Of Earthly Delights')), les riffs sont lourds et alambiqués, parfois à multiples couches, la palme revenant en la matière à 'De Närmast Sörjande' ('Next Of Kin') qui pourrait concourir dans la catégorie du plus long riff de l'histoire. Tentaculaire !
Toujours très inspiré par le rock progressif des années 70, "In Cauda Venenum" est peut-être l'album le plus progressif d'Opeth depuis bien des années. L'alternance des ambiances, les rythmes évolutifs au sein de chaque titre, l'interprétation exemplaire des musiciens et l'utilisation de guitares acoustiques en soutien de celle d'Akesson en sont l'illustration criante. La prestation du guitariste est d'ailleurs à souligner car elle contribue à la qualité globale de l'album. Ses solos sont lumineux et certaines phases sont même mémorables telle l'envolée limpide qui démarre le premier titre de l'album. Les variations de sons, de jeu et de styles rendent l'ensemble particulièrement intéressant.
Tout n'est malheureusement pas rose sur la planète Opeth cette année. Une certaine répétitivité se fait sentir sur certains titres, notamment les couplets de 'Hjärtat Vet Vad Handen Gör' ('Heart In Hand') alors que le final acoustique est magnifique. Autre point faible, les mélodies ne sont pas des plus immédiates. Il en est même qui ont tendance à se ressembler et les premières écoutes ne permettent pas de distinguer clairement les morceaux qui ont tous des sonorités semblables. Seul 'Kontinuerlig Drift' ('Continuum') s'accrochera immédiatement à vos neurones grâce à une composition légère et accrocheuse, à un solo de clarinette puis à une puissance maîtrisée par la suite. Dans une autre veine 'Banemannen' ('The Garroter') aux allures hispano très jazzy et 'Minnets Yta' ('Lovelorn Crime') qu'un lumineux solo vient clôturer à la façon d'un 'Burden' sur "Watershed" (2009) sortent également du lot lors des premières tentatives. Enfin, Akerfeld a du mal à gommer ce fâcheux tic de composition consistant à finir ses morceaux par de longues litanies acoustiques, comme sur 'Charlatan' et 'Ingen Sanning Är Allas' ('Universal Truth'), mais il a tout de même raccourci l'exercice par rapports aux albums des années 2000 sur lesquels ce gimmick devenait systématique jusqu'à l'ennui.
Ces quelques défauts sont largement compensés par une qualité d'écriture et de composition bien au-dessus de la moyenne. Même s'il ne sera pas facile à ingurgiter d'une traite du haut de ses 68 minutes et en raison d'une certaine difficulté à identifier clairement les différentes pièces qui le composent, "In Cauda Venenum" est une pierre de plus à l'immense carrière du groupe. Mikael Akerfeld à une propension impressionnante à se renouveler dans l'écriture et à proposer une musique riche et élaborée. Il faudra de nombreuses écoutes pour appréhender toutes les subtilités mais les fans du groupe, du moins ceux des derniers albums, y trouveront leur compte. Quant à ceux qui ne jurent que par le death de l'époque pré-"Heritage", ils en seront pour leurs frais, mais ce n'est plus une surprise. Une sortie majeure de 2019 très attendue et convaincante.