Carlos Santana est une légende connue de tous ou presque, mais paradoxalement il est assez difficile de citer des titres au-delà des classiques ‘Europa’, ‘Oye Como Va’, ‘Black Magic Woman’ ou ‘Maria Maria’. Pourtant le Mexicain a une carrière riche de 25 albums inaugurée il y a 50 ans par "Santana". Pour les musiciens, Santana c’est un toucher et une musicalité reconnaissables et celui qui a rendu célèbre les guitares PRS. Pour tous, Santana est un personnage attachant et sympathique. Si le guitariste s’est fait plus discret ces dernières années, il n’en a pas moins produit de la musique à un rythme très régulier. Entre son dernier album en date, "Santana IV" en 2016, et aujourd’hui, c’est la rencontre avec le producteur polyvalent Rick Rubin, capable de conseiller aussi bien Eminem que AC/DC, qui sera déterminante.
Reconnaître que sa carrière a besoin d’un nouveau souffle serait exagéré mais il y a un peu de cela quand on se tourne vers Rick Rubin. Cette collaboration va effectivement libérer la sève créative du Mexicain qui va enregistrer une cinquantaine de morceaux en dix jours de studio. Rubin ne va pas bouleverser le style Santana mais plutôt l’encourager à appuyer les composantes rythmiques de ses compositions en enregistrant un album original aux sonorités afro-latines. La percussion est une dimension majeure de "Africa Speaks" qui se fait entendre dès l’entame éponyme en invitant l’auditeur à pénétrer l’Afrique profonde, mystique et mystérieuse, avec ses tonalités arabisantes et ses chants exaltés. Santana donne une nouvelle amplitude à sa world music dont le point d’ancrage pourrait être incarné par un ‘Batonga’ dans son plus pur style latin-rock-fusion et son aphélie serait ‘Luna Hechicera’ aux fortes connotations blufunk de Keziah Jones.
"Africa Speaks" c’est aussi la découverte d’une voix envoûtante. Celle de la chanteuse espagnole de parents Equato-guinéens Buika qui irradie le disque de ses couleurs vocales, héritées de multiples cultures qui lui permettent d’exprimer aussi bien le romantisme expressif du flamenco (‘Paraísos Quemados ‘) que l’espoir inaltérable africain (‘Oye Este Mi Canto’). L’inspiration jaillit et chaque nouvelle composition est l’occasion d’aborder différentes modalités de la world music. Il y a le jazzy ‘Blue Skies’ aux chœurs majestueux et larges plages de discours guitaristiques, le funky ‘Paraísos Quemados’ aux claviers rétro ou le pop-rock sombre ‘Yo Me Lo Merezco’. Un bref aller-retour de l’autre côté de l’océan pour la lancinante samba ‘Breaking Down The Door’ sur laquelle Manu Chao vient poser quelques chants avant de visiter le Maghreb incarné par ‘Los Invisibles’ en compagnie du regretté Rachid Taha.
Santana n’a rien perdu de ses qualités musicales ni de sa grande vertu de rassembleur des cultures qui imprime à "Africa Speaks" sa grande richesse harmonique. Dans "Africa Speaks", peut-être plus magistralement que jamais, Santana invite les cultures à une grande fête œcuménique dans laquelle le meilleur de chacune se sublime par l’union.