Il ne reste plus grand chose du black metal norvégien du début des années 90. Nombreuses sont les hordes noires à avoir disparu (Burzum, Emperor...) alors que d'autres ont évolué et fini par larguer les amarres vers d'autres rivages (Enslaved) ou ont sombré dans le ridicule voire la parodie (Gorgoroth). Mais Darkthrone, lui, est toujours vivant, inoxydable, même s'il a incontestablement levé le pied depuis dix ans. Mieux, après s'être quelque peu égaré sur les voies d'un proto black aux relents thrash et punk entre "F.O.A.D." (2007) et "Circle The Wagons" (2010), le légendaire duo dresse à nouveau le manche froid d'une inspiration renouvelée, en assumant ses racines épiques et heavy à la manière d'un Manilla Road qui aurait posé sa cartouchière dans les ténèbres du Grand Nord.
En flirtant avec un doom sinistre, "The Underground Resistance" (2013) puis "Arctic Thunder" (2016) ont réveillé notre intérêt pour un groupe dont on pensait qu'il avait craché depuis longtemps ses meilleurs rots. Et s'il y aura bien toujours quelques grincheux pour regretter l'époque de "Transilvanian Hunger" (1994), le fait est que Darkthrone a encore une raison d'exister. Loin d'être les jalons supplémentaires d'une carrière longue de plus de trente ans, ses dernières offrandes peuvent même être considérées comme ce qu'il a enfanté de plus excitant depuis "Ravishing Grimness" à l'aube des années 2000. Et ce n'est pas "Old Star" qui nous contredira.
Plus encore que ses plus récents aînés, celui-ci s'enfonce même davantage encore dans de viciés et lugubres abîmes, comme si Nocturno Culto et Fenriz étaient connectés aux entrailles de la terre, jusqu'aux Enfers. A l'exception (relative) de 'Duke Of Gloat', crachat fiévreux au goût de rouille, les cinq autres saillies sont prisonnières d'une épaisse gangue de mazout, mid-tempos paresseux (dans le bon sens du terme) qui filent aussi vite qu'une tortue shootée au Valium. Bien qu'il imprime une cadence soutenue, l'inaugural 'I Muffle Your Inner Choir' se voit perforé par de profondes crevasses au fond desquelles bouillonne un jus malsain.
Toujours capable d'appuyer sur l'interrupteur, étirant alors le suaire morbide d'une nuit glaciale, le tandem n'a pas non plus son pareil pour vidanger des riffs à la fois obsédants et accrocheurs, ce dont témoigne 'The Hardship Of The Scots', joyau taillé dans la roche d'un heavy doom ténébreux. Mais derrière le paravent cradingue d'une basse venimeuse qui claque comme une peau tendue par des crocs de boucher et des vocalises lavées au détergent, on devine un travail d'écriture et d'instrumentation extrêmement précis, œuvre de musiciens aussi aguerris que complices. Par les nombreuses couches sur lesquelles il est construit, 'Alp Man' illustre ainsi la force souterraine d'une partition faussement simpliste à laquelle un canevas étiré donne le temps de se répandre en déroulant ses lourds tentacules.
Avec "The Underground Resistance" et "Arctic Thunder", "Old Stars" paraît former un triptyque dont la sève heavy doom qui le nourrit ne l'exonère pas de l'atmosphère froide et nocturne propre au black metal, démontrant en cela que Darkthrone n'a pas déserté la cause qu'il exprime à sa façon, aussi personnelle qu'intemporelle et toujours si malsaine et evil. Le duo norvégien continue donc d'entretenir sa légende, plus que jamais sourd aux modes. Il n'y a pas de raison qu'il change ni qu'il stoppe la machine. The cult is alive !