Nous avions quitté Klone sur le projet acoustique "Unplugged" qui apparaissait comme la suite logique de "Here Comes The Sun". Cette expérience n’aura pas été qu’une simple parenthèse dans la carrière des Poitevins puisque le format allégé du groupe qui a officié sur "Unplugged" est celui que l’on retrouve dans le neuvième album. De telle sorte que les deux guitaristes Guillaume Bernard et Aldrick Guadagnino ainsi que le chanteur Yann Ligner s’affichent en trio comme le noyau dur de Klone autour duquel gravite une section rythmique autour de l’incontournable Morgan Barthet. Autre bouleversement important, qui n’est peut-être pas décorrélé du changement de style du groupe, la signature chez le label anglais Kscope. Tout ce contexte est la toile de fond du nouvel album de Klone qui s’intitule "Le Grand Voyage".
Bien que le titre du disque soit en français, l’intégralité des textes est en anglais. Ceux-ci éclairent ce choix de nom en décrivant le désordre du monde qui impacte l’humanité et l’introspection intérieure qui peut conduire à l’émancipation. La musique permet l’incarnation totale de ces thématiques en réitérant le dosage efficient qui rentre dans la composition des morceaux de "Here Comes The Sun". En effet, la forte filiation entre les deux albums s’imprime dans les ambiances atmosphériques nourries à la réverbération, les tempi souvent lents ou les registres vocaux qui renforcent la profondeur intimiste et solennelle de la musique. Mais "Le Grand Voyage" cultive tout de même quelques éléments qui permettent de ne pas (trop) les confondre.
On ne s’appesantira pas sur ‘Breach’, ‘Sealed’, ‘Sad And Slow’ ou ‘Silver Gate’ dont les développements similaires sous forme de mid-tempi sombres perpétuent l’expérience initiée par "Here Comes The Sun". Le reste de l’album cristallise l’intérêt principal de ce "Grand Voyage" avec des variations plaisantes et des montées finales intenses qui appuient la fibre originelle des Poitevins comme dans l’épique ‘Yonder’ à la dimension cinématographique bien rendue dans la vidéo, ‘Indelible’ et ses appoints de saxophone lumineux et son groove trop rarement mis en valeur ou le puissant ‘The Great Oblivion’ qui renoue avec la vibration rock d’antan.
Il y a deux autres traits caractéristiques du "Grand Voyage" qui tendent à l’en distinguer de "Here Comes The Sun". Le premier concerne l’apport rythmique de Morgan Berthet dont le jeu ajoute une tonalité charnelle et terrestre à la mélancolie entretenue dans le disque, alors que Florent Marcadet appuyait la légèreté et l’ampleur qui élevait la composition de Klone dans des sphères plus éthérées, vaporeuses et chimériques. La seconde nuance réside dans les arrangements et les orchestrations qui trouvent ici une place idéale, notamment dans les finals de ‘Yonder’ ou du très réussi ‘Keystone’, pour contrebalancer la pesanteur que nous pointions juste avant.
"Le Grand Voyage" s’inscrit dans la continuité du cheminement inauguré par "Here Comes The Sun". Plusieurs titres lui sont clairement rattachés alors que d’autres marquent d’une part une inclinaison (légère mais réelle) à revenir aux racines rock de Klone, d’autre part une ambition épique et symphonique innovante. Contrairement à "Here Comes The Sun" dont l’orientation radicale agissait comme une franche coupure avec le passé, "Le Grand Voyage" vogue entre deux états qui ne sont pas encore clairement tranchés. Cet album ainsi que tout l’environnement autour du groupe laissent à penser que le grand voyage dans lequel nous embarque Klone est loin d’être terminé.